Nul n’est besoin d’avoir perdu du temps au séminaire pour savoir qu’un texte sacré commence toujours par « Au commencement était… ». D’habitude, c’est le Verbe mais pour la plupart des cinéastes italiens de série B et, aux États-Unis, pour Roger Corman, leur Bible démarre ainsi : « Au commencement était un film célèbre. » Ensuite, notre gaillard demande à un ou plusieurs écrivains de bosser le sujet, de le reprendre dans ses grandes lignes en ajoutant ici et là quelques détails significatifs d’une production AIP ou New World Pictures, les deux fers de lance successifs du génial cinéaste et producteur. Puis il lance sa production pour une poignée de dollars et, quand il ne la signe pas, la laisse à un jeunot qui se fait les épaules et pourra devenir, l’Histoire le prouve, un des futurs grands de la cinématographie de son pays.
Pourquoi parler de tout cela aujourd’hui ? Parce que Bach Films sort en DVD une des productions New World Pictures de Roger Corman, dirigée en 1981 par B.D. Clark (alias Bruce D. Clark) et devenue depuis cultissime : Galaxy of Terror (La galaxie de la terreur). Au commencement était donc Alien, une planète inhospitalière, un vaisseau parti à la recherche d’une mission précédente disparue corps et biens, un équipage limité, des couloirs interminables d’où le danger peut surgir à tout instant et quelques monstres croquignolesques parce qu’à l’époque, tout le monde ne peut pas se payer ni H.R. Giger ni Carlo Rambaldi. Corman, qui connaît son public sur le bout des ongles, sait qu’il va falloir épicer le scénario de Clark et Marc Siegler. Une des jeunes astronautes, jouée par Taaffe O’Connell, va donc se retrouver aux prises avec un ver géant. Déshabillée en un tournemain — par un ver !!! —, elle va être dévorée non sans quelques grognements jouissifs équivoques qui firent raccourcir la séquence pour qu’elle ne soit pas classée X. Séquence qui éleva le film au rang de culte. Reconnaissons que ni Clark ni Siegler n’étaient des perdreaux de l’année et que les deux avaient déjà écrit — et Bruce Clark réalisé — en 1969, dans la foulée d‘Easy Rider, Naked Angels (Les anges nus), un film de bikers et de gros cylindres que de jolies blondes chevauchaient seins nus. Enfin, la superbe affiche de La galaxie de la terreur en rajoute une louche avec cette jolie blonde dénudée — qui n’a rien à voir avec Taaffe — et cette grosse mite à tête de mort. Tout pour mettre en appétit !
L’intelligence de Corman, et c’est bien évidemment ce qui a fait sa notoriété, est qu’il travaille pour un public de drive-in, réputé ado voire bas de plafond, mais qu’il s’adresse aussi à des gens qui réfléchissent et pour qui il s’amuse à glisser ici et là des notations qui leur font apprécier ses films. Car à travers la trame d’Alien, à l’époque connue du plus grand nombre, passent en transparence des réminiscences de Forbidden Planet (1956, Planète interdite) de Fred McLeod Wilcox, dans lequel ce sont les humains qui créent leurs propres monstres. Enfin, Corman et ses deux sbires s’offrent le culot de poser la question de Dieu. Et si, finalement, on pouvait se débarrasser de lui ? À elle seule, l’évocation d’un tel concept était fichu de coller l’urticaire aux plus endurcis des censeurs et d’envoyer cette Galaxie de la terreur directement à la trappe, sans passer par la case départ. Pourtant Corman, Clark et Siegler sont allés jusqu’au bout de cette idée. Et les censeurs n’y ont vu que du feu !
Il faudrait encore parler des comédiens. Hormis Ray Walston, ils ne sont pas encore reconnus comme certains le deviendront par la suite. Walston a travaillé pour Billy Wilder dans The Apartment (1960, La garçonnière) et Kiss Me, Stupid (1964, Embrasse-moi, idiot), film incroyable pour l’époque dans lequel, jeune auteur de chansons inconnu, il reçoit chez lui un crooner célèbre (Dean Martin). Connaissant la réputation de don juan de Martin, Walston préfère éloigner son épouse (Felicia Farr) et fait passer une prostituée (Kim Novak) pour sa régulière. Et, que croyez-vous qu’il arrive ? Walston couchera avec Novak, Martin avec Farr avant que le couple légitime ne se retrouve. Bon tout cela nous amène loin de La Galaxie de la terreur mais nous dit combien Walston, bien que méconnu chez nous, est un acteur qui compte.
À ses côtés, Robert Englund paraît tout jeune. Il ne portera le chapeau, le tricot rayé et les ongles-lames de Freddy que trois ans après. Si Edward Albert est bien oublié aujourd’hui, notons que Zalman King est devenu par la suite scénariste, réalisateur et producteur et que, outre le scénario de 9 1/2 Weeks (1986, 9 semaines 1/2), il en a réalisé deux succédanés, le premier toujours avec Mickey Rourke : Wild Orchid (1989, L’orchidée sauvage) et Wild Orchid II (1992). Le membre de l’équipage qui a un physique de brute, c’est Sid Haig qui a, tout au long de sa longue carrière de quelque cinquante années, distribué plus de baffes que de bonbons, dans les films de blaxploitation de Jack Hill mais aussi chez Richard Fleischer, Robert Aldrich, Rob Zombie, Fred Olen Ray ou Charles Band. Il n’y a guère que Quentin Tarantino qui ait eu l’idée saugrenue de lui faire jouer un juge dans Jackie Brown.
Arrivent enfin les actrices. Dans le rôle du capitaine du vaisseau, Grace Zabriskie a quelque chose d’illuminée et on se demande bien comment on a pu lui confier les commandes. Ces yeux écarquillés et cet air de ne plus rien y comprendre qu’elle affiche ici, elle s’en resservira dans la série Twin Peaks — elle y était la mère de la défunte Laura Palmer — et, plus récemment, dans Ray Donovan, où elle incarne Miss Minassian. Quant à Erin Moran, qui joue la jeune première du vaisseau, elle était à l’époque la vedette de la série Happy Days, où elle incarnait la chérie de Scott « Chachi » Baio, le cousin de Fonzie (Henry Winkler). Malgré tout, en matière de casting féminin, c’est Taaffe O’Connell qui se taille la part du lion grâce à une séquence déjà commentée.
Que reste-t-il aujourd’hui de La galaxie de la terreur ? Un film de SF cheap, amusant parce que typique des années quatre-vingt, ringard par bien des aspects et plaisant par tellement d’autres. Sans doute parce que, à l’écart des grands studios — même si le film a été distribué, hors États-Unis, par United Artists —, Corman peut tout se permettre. Et que c’est ce qu’on aime chez lui.
Une dernière précision : c’est connu, Corman a toujours donné leur chance aux débutants, à condition de ne pas les payer. Ici, à divers postes, depuis assistant-réalisateur jusqu’à « production designer », l’équivalent de notre chef décorateur, on trouve le nom de James Cameron. Trois ans plus tard, notre bonhomme signera Terminator puis, dans la foulée, Aliens avant de poursuivre par la carrière que l’on sait. Comme quoi, d’Alien à La galaxie de la terreur et de La galaxie de la terreur à Aliens, il existe une réelle suite logique.
Jean-Charles Lemeunier
La galaxie de la terreur
Titre original : Galaxy of Terror
Année : 1981
Origine : États-Unis
Réalisation : B.D. Clark
Scénario : Marc Siegler, B.D. Clark
Photo : Jacques Haitkin, Austin McKinney
Musique : Barry Schrader
Montage : Larry Bock, R.J. Kizer, Barry Zetlin
Assist. réal. et production design : James Cameron
Prod. : Roger Corman, Marc Siegler (New World Pictures)
Avec Edward Albert, Erin Moran, Ray Walston, Bernard Behrens, Zalman King, Robert Englund, Taaffe O’Connell, Sid Haig, Grace Zabriskie
Édité en DVD par Bach Films le 7 mars 2016.
