
Auteur du Cœur battant (1960), que Le Chat qui fume sort dans un beau Blu-ray, Jacques Doniol-Valcroze reste sans doute le moins connu des cinéastes de la Nouvelle Vague, alors qu’il est l’un des fondateurs des Cahiers du cinéma. Outre le film lui-même, qui vaut le détour, le Blu-ray propose un passionnant portrait de Doniol, tourné par son épouse, Nicole Doniol-Valcroze Berckmans. Ce documentaire est d’autant plus émouvant que le cinéaste s’est écroulé dans le palais des festivals cannois à l’issue d’une projection en 1989, victime d’une rupture d’anévrisme, et que, derrière la caméra, sa femme apprend les détails de sa mort en interrogeant ceux qui étaient présents.

Le Cœur battant débute sur un marivaudage. Jean-Louis Trintignant, la trentaine triomphante, bondit d’une voiture décapotable pour s’introduire dans une galerie de peinture où est présenté un tableau, justement intitulé Le Cœur battant. Celle qui le lui présente est la séduisante Françoise Brion — qui deviendra la femme de Doniol et tournera plusieurs films avec lui —, une talentueuse actrice que l’on pourrait rapprocher de Françoise Dorléac.

Séduisant est tout autant le film que ses deux interprètes. Dans un beau noir et blanc, sur les rivages varois, Trintignant et Brion pratiquent eux-mêmes le jeu de la séduction, à leurs risques et périls : se faire passer aux yeux de tous pour des amants, alors qu’ils ne le sont pas. Avec beaucoup d’humour, Doniol filme leur relation sans cynisme mais avec beaucoup d’ambiguïté.

Le jeu est ici au cœur du film : celui de l’amour, bien sûr, et celui de l’identité. Faux amant et vrai amoureux, Trintignant s’invente un autre nom pour signer les registres des hôtels et met « ingénieur » comme métier alors qu’il est peintre. Françoise Brion, elle, indique « sceptique » comme emploi. Dans la chambre qu’ils partagent, malgré leur demande, ne se trouve qu’un lit double qu’ils vont devoir partager. Peintre abstrait, Trintignant déclare alors se sentir « plutôt figuratif ». Entre les deux, le dialogue est ainsi toujours allusif, baigné d’humour. Marivaux et le marivaudage étaient convoqués en début d’article, pour évoquer l’amour et la légèreté de ton qu’employait l’auteur du XVIIIe. On pourrait ici parler de doniol-valcrozage, tant le cinéaste pose sur ces questions amoureuses une griffe identique. En cette époque de changement radical du cinéma, avec l’arrivée de la Nouvelle Vague, Doniol prend un chemin qui lui est propre, proche de celui de Pierre Kast ou Michel Deville. Un cinéma où frivolité et profondeur font bon ménage, bercé par la belle musique de Michel Legrand. Une œuvre qui vieillit très bien.
Jean-Charles Lemeunier
Le Cœur battant
Origine : France
Réal., scén. et dial. : Jacques Doniol-Valcroze
Photo : Christian Matras
Musique : Michel Legrand
Montage : Nadine Marquand
Durée : 99 min
Avec Françoise Brion, Jean-Louis Trintignant, Raymond Gérôme, Marc Eyraud…
Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume le 200 décembre 2023.