
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas de faire de Max Pécas, immortel auteur de comédies tropéziennes dans les années quatre-vingt, un cinéaste maudit dont on pourrait redécouvrir aujourd’hui les qualités. Son nom est même passé, à une certaine époque, comme le modèle des films à ne pas faire. J’avais ainsi rencontré, au tournant des années deux mille, l’actrice Katia Tchenko et l’avais félicitée pour l’éclectisme de sa carrière qui l’avait amenée à travailler avec des gens aussi divers que John Frankenheimer, Dino Risi et… Max Pécas. « Ah, non ! Pas Pécas », s’était-elle récriée et j’avais dû lui rappeler qu’elle avait figuré dans On n’est pas sorti de l’auberge. Elle s’en était presque excusée.
La sortie en Blu-ray, chez Le Chat qui fume, de Brigade des mœurs (1985), que Pécas a tourné entre Les Branchés de Saint-Tropez (1983) et Deux enfoirés à Saint-Tropez (1986) va-t-elle enfin nous permettre de réviser notre jugement ? Après tout, dans ces années quatre-vingt, Pécas a bien le droit d’écrire et de tourner ce qu’il veut (car il était aussi scénariste de ses films), lui qui est successivement passé par le polar noir (années soixante), le porno (années soixante-dix) puis la gaudriole plus ou moins déshabillée (années quatre-vingt) avec cette parenthèse policière que représente Brigade des mœurs : il est libre, Max !

Brigade des mœurs, donc. Dans sa présentation du film, le matou clopeur prévient sur le côté trash du produit. Force est de reconnaître que le mot est adéquat. Pécas signe un film qui se rapproche des séries B américaines de l’époque : un flic capable de sortir du droit chemin, des méchants carrément psychopathes, beaucoup de violence (surtout envers les femmes), du gore, du sang à foison, un couteau planté dans l’œil, une main tranchée, une tête fendue, des filles à poil tailladées, de la complaisance voyeuriste… Bref, le produit pourrait débarquer de chez l’Oncle Sam, signé par William Lustig, ou traverser les Alpes sous la houlette d’Umberto Lenzi ou de Ruggero Deodato. Autant dire que Pécas, l’air de rien, était capable de filmer autre chose que des petits mecs matant les baigneuses topless sur une plage méridionale.

En effet, contrairement à d’autres productions françaises de la même époque, Pécas évite ici toute fausse pudeur. S’il filme des transsexuels, il le fait dans leur nudité, et les massacres et les tabassages ne nous épargnent pas grand chose. La mode (on l’a dit, avec des films américains, italiens ou espagnols) est de montrer le plus possible. Brigade des mœurs se situe dans cette lignée où se faire justice soi-même est dans l’ordre des choses, sans avoir envie d’expédier les tueurs devant un tribunal. Peckinpah (Straw Dogs) ou Alan Parker (Midnight Express), mais aussi les films de Clint Eastwood et Charles Bronson, suivis par de nombreux autres cinéastes, ont déjà montré de tels salauds dont le spectateur se satisfait de la mort. Un spectateur effaré de se voir devenir à ce point réac !

Hétéroclite et finalement bien dosé, le casting fait voisiner des acteurs confirmés (Christian Barbier, Pascale Roberts, Jean-Pierre Bernard — qui a travaillé avec Eastwood, l’air de rien —, Henri Lambert…), une star du porno (Brigitte Lahaie), des débutants qui ne s’en sortent pas si mal (Thierry de Carbonnières dans le rôle du flic, Jean-Marc Maurel dans celui du méchant, Ticky Holgado dans une apparition fugace), d’autres qui ânonnent un peu… Quant à l’action, qu’elle se définisse par des massacres (au bois de Boulogne, dans un bar ou un parking), des bastons ou des cascades, elle est toujours efficacement menée.

Enfin, Pécas sait multiplier les décors, du bois de Boulogne au commissariat, d’un appartement à une boîte gay, d’un club échangiste à un parking ou un garage paumé dans la campagne. Avec, en final, une usine digne de celle du White Heat (L’Enfer est à lui) de Walsh… Bon, OK, comparons ce qui est comparable et gardons-nous de mettre sur un pied d’égalité Walsh et Pécas. Juste, saluons la bonne utilisation d’un tel décor. Et reconnaître que ce Brigade des mœurs, dans le genre, reste très regardable.
Jean-Charles Lemeunier
Brigade des mœurs
Année : 1984 Origine : France Réal. : Max Pécas Scén. : Marc Pécas, Max Pécas, Roger Le Taillanter Photo : Jean-Claude Couty Musique : Léo Carrier, Jean-Paul Daine Montage : François Ceppi Durée : 97 min Avec Thierry de Carbonnières, Jean-Marc Maurel, Lillemour Jonsson, Bernard Rosselli, Gabrielle Forest, Denis Karvil, Christian Barbier, Pascale Roberts, Jean-Pierre Bernard, Olivia Dutron, Yves Collignon, Muriel Montossé, Jean Vinci, Brigitte Lahaie, Ticky Holgado…Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume en décembre 2023.