Morgiana, film tchécoslovaque de 1972 signé par Juraj Herz, à qui l’on doit l’excellent Incinérateur de cadavres, sort chez Artus dans un beau combo DVD/Blu-ray. Le film s’ouvre sur un enterrement et l’on se doute que la mort va accompagner jusqu’au bout ce récit tiré de l’écrivain russe Alexandre Grine. Deux sœurs héritent, l’une jolie et rousse, l’autre brune et sévère d’allure, toujours habillée en noir. Toutes deux sont interprétées par une seule actrice, Iva Janžurová, ce qui n’est pas flagrant tant elles sont différentes. À noter encore un troisième personnage, Morgiana, un chat siamois aux yeux bleus, dont la caméra prend parfois la place, et dont la présence va précipiter l’acte final.
Viktoria, la brune, jalouse Klara, la rousse. Autant la première est renfermée, autant la seconde est vive et gaie et se fait plus facilement courtiser. Ce qui déplaît fortement à Viktoria. Celle-ci va empoisonner sa sœur, attendant que le poison agisse enfin. Tout le film marche ainsi à pas feutrés, l’une se rongeant les sangs parce que la seconde, bien que malade, reste en vie.
Morgiana baigne ainsi dans une atmosphère à la limite du fantastique, du cinéma gothique bien qu’il n’y ait ici aucun château lugubre mais plutôt un bord de mer ensoleillé — le film a été tourné sur la côte bulgare. Victime du produit qu’elle a ingurgité malgré elle, Klara a des visions psychédéliques tandis que Viktoria, exaspérée et impatiente, multiplie ses méchancetés contre ses servantes, un chien et une tireuse de cartes.
« Point d’orgue et pierre de Rosette dans la carrière de Juraj Herz », selon le spécialiste Christian Lucas — passionnant à plus d’un titre, le bonus dans lequel il apparaît doit être visionné après le film —, Morgiana joue avec les miroirs, « la gémellité et la schizophrénie », avec « une ambiance mystérieuse, inquiétante, une sorte de fantasmagorie ».
Autre qualité du film, c’est qu’il est joué par des acteurs inconnus chez nous mais talentueux — il faut saluer la double prestation d’Iva Janžurová, déjà interprète l’année précédente d’un autre film de Herz, Les Lampes à pétrole. Morgiana suit des codes différents des films occidentaux, sans effets spéciaux ni rythme échevelé, et ouvre une belle parenthèse. N’oublions pas qu’il est tourné lors de la grande vogue du giallo, ces films policiers italiens flirtant souvent avec le fantastique, et qu’il ne leur ressemble en rien.
En complément, Artus nous propose également Noapte — le mot signifie « nuit » en roumain —, un court-métrage réalisé par l’IUT de Béziers, à l’atmosphère tout aussi empoisonnée.
Jean-Charles Lemeunier
Morgiana
Année : 1972
Origine : Tchécoslovaquie
Réal. : Juraj Herz
Scén. : VladimirBor, Juraj Herz d’après Alexandre Grine
Photo : Jaroslav Kučera
Musique : Luboš Fišer
Montage : Jaromír Janácek
Durée : 101 min
Avec Iva Janžurová, Josef Abrhám, Petr Čepek, Nina Divíšková …
Sortie en DVD/Blu-ray par Artus Films le 7 novembre 2023.