
C’est toujours marrant, à la vision d’un film d’anticipation, de voir comment on imaginait le futur, un futur que nous avons depuis atteint. Ainsi, Blade Runner (1982) se déroule-t-il en 2019, Soleil vert (1973) en 2022 et l’action de Cherry 2000 (1987), que Le Chat qui fume sort en Blu-ray, se passe en 2017.
Mais avant toute chose, est-on vraiment sûr que Cherry 2000 relève de la seule anticipation ? Il faut bien reconnaître qu’avec son réalisateur, Steve De Jarnatt, on n’est jamais sûr de rien. C’était déjà le cas avec Miracle Mile, sorti en 1988, avec lequel on ne savait sur quel pied danser.

Cherry 2000 nous offre un bel éventail de genres : le film parle d’un futur où l’on peut faire l’amour à des robots. Mais c’est aussi une comédie romantique avec un héros (David Andrews) qui, parce que le robot (Pamela Gidley) dont il est fou amoureux est tombé en rade, va tout faire pour récupérer un modèle semblable. Sauf que ceux-ci se trouvent désormais relégués dans un cimetière pour robots situé dans une zone interdite et qu’il va falloir, pour l’atteindre, louer les services d’un traceur.

Nous voici donc basculés dans le film d’aventures lorgnant vers le western avec, qui plus est, une héroïne démerdarde et prête à tout, jolie de surcroît, puisqu’il s’agit de Melanie Griffith. À ses côtés, notre naïf héros va bien sûr vivre plein d’aventures. Une Melanie bodybuildée sur l’affiche, clin d’œil à tous les films d’heroic fantasy de l’époque dont le matériel commercial attiraient le chaland avec des filles très sexy charpentées comme des bucherons — voir la représentation de Sandahl Bergman sur l’affiche de Conan le Barbare.


Autant dire que Cherry 2000 ne se prend jamais au sérieux, avec quantité de personnages loufoques et un casting inoxydable : on croise ainsi Laurence Fishburne, Brion James — l’un des réplicants en fuite de Blade Runner —, des survivants du John Ford Stock Company (Ben Johnson et Harry Carey Jr) et de sympathiques acteurs de séries B, tel Tim Thomerson — que l’on aimerait bien revoir dans le Trancers de Charles Band, sorti sur nos écrans sous le titre de Future Cop, et qui déclencha au moins trois suites.

Un petit plus à signaler encore : Steve De Jarnatt situe ses aventures échevelées dans les magnifiques paysages californiens de la Vallée de la Mort, dans des villes fantômes du Nevada et devant l’impressionnant puits ouvert de Three Kids Mine, toujours dans le Nevada.
Soyons clairs : Cherry 2000 ne vole pas toujours très haut mais possède un humour qui dynamite pas mal de principes de l’American way of life. Nous ne sommes certes pas dans la subversion de Robocop mais l’ironie est toujours présente. On nous parle ainsi d’une Amérique où, « avec un chômage qui retombe à 40%, la nation franchit un cap ». Où la sexualité, si elle n’est pas accomplie avec un robot, est détaillée par un contrat que brandit un avocat. Et que dire de la manière de parler de la situation de la femme dans le futur, remplacée par des robots pour des tâches essentielles : ménage, cuisine et sexe ? L’air de rien, De Jarnatt se moque du machisme ambiant, le critique et ne doit surtout pas être pris au premier degré.

Dans cette Amérique détraquée, il suffit que le héros décline son identité et annonce sa ville d’origine (Anaheim), pour que son interlocuteur éclate de rire et toute l’assemblée avec lui. De Jarnatt multiplie ainsi les détails insolites. Dans un bar louche, David Andrews commande un rhum et un biscuit avant d’être interpellé par un individu suspect (Brion James) qui lui demande ce qu’il veut boire… et s’il prend un biscuit. Et bien sûr, on se demande : mais pourquoi un biscuit ? Quant au Sky Ranch perdu au milieu du désert, il est le symbole de l’Amérique triomphaliste des piscines et des jeunes gens lookés comme James Dean. De Jarnatt partage ce genre d’humour loufoque avec Matt Groening, l’auteur de Futurama et des Simpsons, son copain de chambrée à la fac (selon l’historien du cinéma et scénariste Fathi Beddiar, interrogé dans le bonus sur son amitié avec De Jarnatt).

Ce cinéma pas prise de tête et pas calibré non plus, la plupart du temps en roue libre, vous fera passer un bon moment ou soupirer d’impatience, c’est selon. Avec toutefois un intérêt majeur : de ne ressembler à rien d’autre de connu !
Jean-Charles Lemeunier
Cherry 2000
Année : 1987
Origine : États-Unis
Réal. : Steve De Jarnatt
Scén. : Michael Almereyda, Lloyd Fonvielle
Photo : Jacques Haitkin
Musique : Basil Poledouris
Montage : Edward Abroms, Duwayne Dunham
Durée : 93 min
Avec David Andrews, Melanie Griffith, Ben Johnson, Tim Thomerson, Pamela Gidley, Marshall Bell, Harry Carey Jr, Laurence Fishburne, Brion James, Robert Z’Dar…
Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume le 1er octobre 2023.