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« Il y a peut être vingt secondes dans Piège De Cristal où je suis parvenu à une image qui ait l’intensité du rêve« . John McTiernan, interview donnée pour le numéro 64 de Starfix (septembre 1988)
Un credo que le cinéaste s’est pourtant attaché à développer dans tous ses films. En effet, le caractère onirique, fantastique et même mythologique de certaines images et séquences n’imprègne pas seulement ses œuvres les plus ouvertement liées au genre comme Nomads , Predator ou Last Action Hero mais également au sein de ses films les plus éloignés de ce registre tels Rollerball, Basic, Die Hard ou A la poursuite d’Octobre Rouge.
Cela se traduit de diverses manières à l’écran mais avec à chaque fois la volonté de servir le récit, de formaliser un point de vue particulier afin de densifier la narration.
Ainsi, on retrouve disséminées quelques images éparses venant en contre-champ du héros qui vont former un étonnant contraste, soulignant le fait qu’il est étranger au monde qu’il s’en va arpenter et dont il a presque la sensation de vivre un rêve éveillé. Le plan où arrivé au milieu de la fête de noël organisée au trentième étage de la tour Nakatomi, il observe une scène presque irréelle montrant trois personnes discutant au milieu de végétation et derrière un voile d’eau d’une fontaine au premier plan. Le tout dans la lumière tamisée du couchant renforçant la sensation de détachement.
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Que ce soit lors de l’arrivée en limousine ou lors de la discussion dans le bureau de la femme de McClane, la lumière orangée du crépuscule offre un contrepoint apaisé avec la violence qui se déchaînera plus tard, rendant ce lieu cauchemardesque.
On est souvent plongé dans le registre du conte dans le film, par l’ouverture du coffre rythmé par la 9ème symphonie, sorte de « Sésame ouvre toi », mélomane ; par la prise en charge du récit par Théo lors de l’assaut mené par les forces de police pour pénétrer dans la tour et qui utilise des termes de ce registre (il était une fois, chevalier, etc), soit une véritable attaque de château fort que les « terroristes » mettront en déroute à coup de lance roquette qui dans le programme de la scène pourra être assimilé au souffle d’un dragon ; la pluie finale des titres convoités par Gruber et sa bande qui retombent comme de la neige.
Dans A la poursuite d’Octobre Rouge on retrouve également cette volonté de dépayser totalement le protagoniste principal. Ainsi, lorsque Jack Ryan doit quitter son rassurant envirronnement bureaucratique pour entrer en action sur le terrain, son arrivée sera soulignée par une apparition fantastique. Débarquant sur un chantier d’assemblage de sous-marin pour consulter un expert afin d’en savoir plus sur l’Octobre Rouge, il fait face à une carcasse enveloppée de fumée, une image saisissante donnant l’impression d’une confrontation avec un monstre mythique sortant de la brume (un Léviathan). Plan métonymique de ce qu’il devra accomplir (repérer l’Octobre Rouge) pour rencontrer Marko Ramius.
![octobrerouge_sous-marin dans la brume]()
Une image est encore plus marquée et marquante dans Le Treizième guerrier lorsque Ibn Ahmed Fadlhan et les vikings de Bulywif voient émerger de l’horizon brumeux ce qu’il semble être un serpent de feu, peut être un dragon. Seule une plus fine observation, une objectivation du regard, permettra finalement de révéler qu’il s’agit en fait d’une colonne de Wendols à cheval portant des torches.
![13emeguerrier_dragon de feu]()
Invisibles
La démystification de ce qui menace la peuplade viking sera au coeur du récit. La lumière du lettré arabe pénétrant l’obscurantisme barbare. Mais l’influence se fera également dans l’autre sens puisque Fadlan s’éveillera aux subtilités des coutumes e comportements de ces hommes d’armes.
Le film est à la limite de l’héroïc-fantasy avec cette tribu Wendol qui semble invincible (les corps des assaillants touchés lors du premier affrontement ont disparu) et qui parvient à se fondre dans l’environnement minéral de cette lointaine contrée.
Le salut pour le héros proviendra de sa capacité à se fondre dans le décor, Predator est particulièrement exemplaire de ce point de vue là, notamment par le biais du staccato, les trois raccords dans l’axe montés en jump-cut, débutant sur Dutch brandissant une torche et poussant un cri bestial et finissant en plan large où l’on ne distingue quasiment plus l’humain de la végétation qui l’entoure. Une créature d’ailleurs caractérisée par son camouflage technologique auquel Dutch oppose un camouflage organique (la boue dont il est recouvert).
![Predator_invisibilité]()
L’invisibilité de l’antagoniste est ainsi une constante dans l’oeuvre de McT. Des Wendols donc qui semblent surgir de nulle part aux sous-marins dont on ne peut déterminer la présence qu’aux sons qu’ils émettent ou au bruit particulier de leurs torpilles en passant par la voix de Simon Gruber dictant ses volontés. McTiernan détourne ce paradigme d’un danger tapit dans l’ombre avec Die Hard. En effet, afin d’agir efficacement à la libération des otages, John McClane doit rester inconnu de Gruber et sa bande le plus longtemps possible, impossible à circonscrire, anonyme, en tout cas demeurer irrepérable en empruntant coursives, cages d’ascenseurs et autres voies annexes à celle contrôlées par les bad-guys. Il demeure menaçant pour eux parce que non identifié (McClane est quasiment une figure de croquemitaine de slasher par moments).
Et puis, rien de plus dramatique et impressionnant qu’une silhouette fugitive dont on ne peut deviner les intentions. Comme lorsque Danny Madigan, au moment de sortir de l’appartement miteux qu’il partage avec sa mère pour se rendre à l’avant-première spéciale et nocturne de Jack Slater IV, voit dans l’embrasure d ela porte le mouvement fugace d’un individu dans l’obscurité du palier. Ce dernier se précipitera dans l’ouverture et plaquera le garçon face au mur afin de lui voler du fric. On ne verra que tardivement le visage de l’agresseur, McT cadrant essentiellement le visage du gamin où se lisent ses réactions, renforçant le sentiment d’effroi confronté à un ennemi sans visage.
![Last Action Hero_menace invisible]()
Masques et seuil
Autre motif imprimant une sensation fantastique, les masques. Dans Rollerball, Jonathan Cross a été sévèrement bastonné sur la piste et le sang qui a coulé sur son visage lui fait arborer une espèce de masque de la mort rouge tandis qu’il se relève pour en finir avec le système.
![Rollerball_le masque de la mort rouge]()
Dans Basic, le capitaine Osborne en poursuivant Tom Hardy dans les ruelles de Panama traverse une sarabande festive où les masques auxquels elle fait face la renvoie aux apparences trompeuses de toute l’enquête.
![Basic_masque]()
C’est peu après qu’elle parviendra devant l’entrée où s’est engouffrée celui qu’elle poursuit et qui symbolise un seuil à franchir pour atteindre la vérité.
![Basic_seuil vers vérité]()
En le passant, elle fait face à son gardien aveugle, reflet de sa propre cécité dans l’affaire.
![Basic_gardien représentation état]()
Autre seuil dans Medicine Man, la rencontre avec le professeur Campbell qui se fait au moment de la découverte par Crane d’un attroupement indigène en pleine forêt autour d’un feu, dans une sorte de célébration paganiste.
![medicineman_cérémonie paganisme]()
Le seuil est clairement marqué dans Last Action Hero par le passage entre la salle de cinéma et la fiction permit par le ticket magique de Houdini.
![Last Action Hero_seuil]()
Dans Die Hard With a Vengeance, McClane franchit les portes du fourgon de police l’ayant conduit dans le quartier de Harlem pour débarquer dans le monde réglé par ce que Simon says.
![Die Hard 3_franchissement seuil]()
Le duel final de Predator se déroule dans la jungle obscure une fois traversé le seuil, une fois passé le pont formalisé par un immense arbre renversé enjambant le précipice et sur lequel l’indien s’offre en sacrifice.
![Predator_seuil]()
L’intensité onirique recherchée par McTiernan survient donc par différents moyens et c’est sans doute dans Medicine Man, film qui mérite d’être réévalué, qu’elle s’exprime le plus amplement. On passe ainsi du rêve au cauchemar en quelques scènes. Alors que le docteur Crane découvre avec émerveillement la forêt d’émeraude où vit Campbell (dans une séquence où le duo s’envole dans les airs grâce à un ensemble de cordes et poulies auxquels ils sont arnachés), elle assiste horrifiée dans le final à la destruction du rêve de Campbell dans une scène filmée de son point de vue où elle voit le professeur pénétrer en territoire ennemi (avec un dangereux enfermement figuré par les camions encadrant au premier plan la silhouette de Campbell en arrière plan). Puis ce dernier se fait molester par les responsables du chantier de déforestation.
![Medicine Man_onirisme vision de cauchemar 3]()
![Medicine Man_onirisme vision de cauchemar 4]()
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![Medicine Man_onirisme vision de cauchemar 6]()
Une séquence où les dialogues sont inaudibles, couverts par le bruit des machines, renforçant l’irréalité cauchemardesque de la scène qui se conclut par un terrible incendie ravageant la forêt et notamment l’endroit où vivait le peuple indigène dont Campbell était devenu le sorcier. Une image terrible de dévastation où tout est calciné, dans une sorte d’enfer sur Terre, emplit alors l’écran. Ces conséquences physiques reflètent alors l’état moral et psychologique des personnages.
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Une image de désolation qui rappelle celle venant conclure Predator où l’on retrouve Dutch débout au milieu des décombres, à peine discernable dans la fumée. Une vision à la texture onirique d’où émerge le survivant de l’explosion achevant sa transformation en une figure mythologique.
![Predator_onirisme]()
Car au final, Predator raconte rien moins que la confrontation de Dutch, un Thésée moderne, avec le Minotaure. Le duel entre Dutch et le Predator au cœur de la jungle, au cœur du labyrinthe que la créature hantait jusque là, voit l’humain renverser la situation en attirant l’E.T sur un espace aménagé, se réappropriant une partie du terrain de chasse. Pour le combattre d’égal à égal, cela nécessite de sinon régresser du moins retrouver un comportement plus primitif, instinctif. Séquence entière se déroule sans parole et McT fait preuve d’une spacialisation exemplaire (avec le feu issue de la flèche explosive comme point de repère), construisant un spectaculaire et intense combat de Titans.
Mythologie
La volonté de frayer avec des récits mythologique infuse l’oeuvre de McT de diverses manières.
Premièrement, par diverses images remarquablement évocatrices comme le puissant Dutch recouvert de boue faisant penser à un Golem, le cheval de Troie dans la stratégie de Thomas Crown pour voler une toile dans un musée ou des noms qui renvoient explicitement aux récits mythiques (Zeus dans Die Hard 3, le professeur Campbell dans Medicine Man qui partage le même patronyme que le célèbre mythologue Joseph Campbell, le roi Buliwyf dont le nom renvoie à la légende nordique de Béowulf).
![Thomas Crown_cheval troie]()
Visuellement, McTiernan met en valeur ses personnages en créant une espèce d’aura en utilisant les reflets générés par des sources de lumière provenant de derrière eux.
Un effet qui créé à la fois un aspect onirique et met en valeur les personnages pour accentuer leur dimension iconique. Mais peut également avoir une fonction ironique, les frères Gruber sont ainsi montrés dans toute leur splendeur de génies du mal et toute leur suffisance de vulgaire voleur explose.
![Nomads_aura]()
![Last Action Hero_aura Slater]()
![Die Hard _ aura bigger than life]()
![Die Hard _ aura]()
![Die Hard 3_aura Simon]()
L’ultime étape de la dimension fantastique instauré par McTiernan est la construction mythologique de personnages pour en faire des dieux et que le réalisateur va s’ingénier à confronter au réel dans une mise à l’épreuve ultime. C’est particulièrement prégnant dans Thomas Crown où Catherine Banning et le personnage titre sont clairement dépeints comme des dieux perdus au milieu des hommes.
De par sa beauté et ses malheurs en amour, Thomas Crown est un Apollon mais il est également présenté en introduction comme Chronos. Une success
on de plans partant de la stratosphère pour se rapprocher de la Terre et se focaliser sur la montre du milliardaire induisent l’idée que le monde est synchronisé à son action.
![Thomas Crown_Cronos1]()
![Thomas Crown_Cronos2]()
![Thomas Crown_Cronos3]()
![Thomas Crown_Cronos4]()
Peu après, sa visite au musée, on le retrouve arrivant dans le gratte-ciel siège de son enreprise. Il y est mis en valeur par un traveling arrière en contre-plongée, magnifiant sa stature et accentuant sa domination sur l’espace. Ce qu’entérine le plan où, regardant par la fenêtre de son immense bureau perché au sommet du gratte-ciel siège de sa société (sa tour d’ivoire ? Sa forteresse de solitude ?) le reflet de son visage en surimpression semble imprégner le panorama de la ville.
![Thomas Crown_godomine]()
Quant à Catherine Banning, son arrivée dans le récit advient lorsque les flics déboulent dans le musée après le vol d’une toile de Monet. Le jeu des éclairages, des lens flare et la découverte de sa présence par une caméra remontant de son pied à son visage magnifient son allure, sa posture. Véritable Aphrodite faisant chavirer les coeurs.
![Thomas Crown_Banning entre en scène pied apparaît dans le champ de vision du flic]()
![Thomas Crown_mvt ascendant caméra fait découvrir la charmante personne qui vient d'arriver]()
![Thomas Crown_maintenant un bras]()
![Thomas Crown_et enfin le visage que le lens flare rend irréel]()
On découvre cette déesse incarnée par les yeux de l’inspecteur McCann, référent du spectateur qui comme lui sera absolument fasciné par ces deux êtres aux préoccupations intimes, des divinités jouant à se défier, se séduire et s’aimer.
McT use également de ces correspondances mythologiques pour parvenir à une désacralisation des icônes que le cinéma a créé. Comme le destin du personnage de Jack Slater qui va durement se confronter à la réalité ou cette séquence voyant McClane et Zeus craignant qu’une bombe explose plongent au sol à la stupéfaction des passants.
Simon Gruber maîtrise parfaitement les évènements et alors que l’on entendait seulement sa voix donnant ses indications et ses ordres, sa première apparition le voit dominer complètement la situation depuis son poste d’observation le situant au-dessus de la plèbe, tel un Dieu du chaos admirant son oeuvre.
![Die Hard 3_fourmis]()
![Die Hard 3_observation]()
![DIe Hard 3_domination]()
Mais ses plans seront sans cesse perturbé par un éternel grain de sable, un emmerdeur, par le représentant de ses hommes qu’il aime manipuler, John McClane le héraut prolétaire.
Finalement, celui qui personnifiera le mieux ce parcours tortueux d’idole chutant de son piédestal pour renaître en tant que guide et mener la révolte des sans-grades si chers à McT est Jonathan Cross le héros de Rollerball. Prenant conscience du voile sur la réalité que représente sa starification, il va s’attacher à dépasser sa condition de jouet marketing de contrôle des masses pour renverser le pouvoir de Petrovich et acquérir véritablement une stature héroïque. Voire prophétique comme peut le suggérer le geste empreint d’admiration et de reconnaissance que fait de la main une jeune fille alors que le peuple reprend violemment les choses en main.
![Rollerball_jonaton sanctifié]()
Mais le plan le plus poignant demeurera celui de Bulywif entrant dans la légende en passant le seuil ultime de la mort.
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Un personnage qui figure à merveille la conception profonde de McT, soit un héros au destin traversé d’élans épique et mythique qui sera un trait d’union entre l’intellectuel et l’homme d’action, entre la réalité et le mythe.
Nicolas Zugasti