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A la conquête d’Hollywood (le guide du scénariste qui valait un milliard) de Joe Eszterhas : showman

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Couverture

Bien que datant de 2006, ce n’est que maintenant que le livre de Joe Eszterhas, The Devil’s Guide to Hollywood: The Screenwriter as God!, est traduit en France. Eszterhas, à qui l’on doit l’écriture de films tels Flashdance, A double tranchant, La main droite du diable, Music box, Showgirls, Jade, etc.) officiait à une période féconde du cinéma américain où le scénariste était, à défaut de Dieu, roi. Il en fut même l’un de ses représentants principaux, lui qui fut payé 3 millions de dollars pour le scénario de Basic Instinct. Etre scénariste est bien plus un métier qu’un art aux Etats-Unis. Et de ce fait, nombre de manuels existent sur le sujet, tels ceux de William Goldman, Adventures in the Screen Trade et Which Lie Did I Tell?: More Adventures in the Screen Trade (tout deux excellents car à la fois didactiques et drôles), l’ennemi juré d’Eszterhas qu’il ne manque pas de mettre régulièrement en boite : « Je suis jaloux : Bill Goldman a remporté deux oscars. Moi, aucun. Mais je suis sûr que Bill Goldman est jaloux du fait que j’ai couché avec Sharon Stone. ». Pourtant, l’ambition d’Eszterhas avec ce livre est autre.

Joes Eszterhas et Gina Gershon, co-vedette de Showgirls

Joes Eszterhas et Gina Gershon, co-vedette de Showgirls

De quoi est-il donc question ici ? D’argent ? « Ce livre vous apprendra à gagner de l’argent. » nous assène par deux fois Eszterhas lors des premières pages, avec à l’appui une énumération de chiffres et un déballage de lieux huppés qu’il a pu fréquenter. De sexe via ses mots crus et ses anecdotes sulfureuses ? Une ode à la gloire d’Eszterhas lui-même ? Un peu tout ça à la fois et parfois un peu plus. Car pour celui qui saura dépasser ces premières pages laborieuses et propagandistes au possible et s’adapter au style décousu délibérément adopté ici, le livre devient plaisant. Il impressionne même, non pas tant par le nombre de citations de célébrités qu’Eszterhas utilise pour structurer son ouvrage, mais pas les noms mêmes cités et qui convoquent rien moins qu’une grande partie de ceux qui ont fait l’histoire du cinéma et de la littérature américaine, du plus obscur au plus célèbre et dont les citations sont souvent pertinentes voire même drôles: « Écrivez de façon cinématographique. Raymond Chandler a dit à un ami : « J’imagine que vous connaissez l’histoire du scénariste qui s’est creusé la cervelle pour trouver comment faire comprendre, en une seconde, qu’un couple dans la fleur de l’âge ne s’aime plus. Eh bien il a trouvé, et voilà comment : le couple entre dans un ascenseur ; lui, garde son chapeau sur la tête. À l’arrêt suivant, une femme monte et l’homme enlève immédiatement son chapeau. C’est ça, l’écriture cinématographique. Moi, il m’aurait fallu une scène de quatre pages pour faire passer cette idée. ». » « J’ai très vite cessé de croire au Père Noël, a dit Shirley Temple. Ma mère m’avait emmené le voir dans un centre commercial et il m’avait demandé un autographe. »

A double tranchant

Mais même s’il vend son fond de commerce, ce qui est somme toute naturel, il n’en reste pas moins souvent qu’Eszterhas adopte un ton trop suffisant, comme lorsqu’il ne cesse de dire que Basic Instinct lui doit tout. Certes, il en a écrit le scénario mais dans les mains de quiconque, cela aurait pu devenir un vulgaire film. Basic Instinct est ce qu’il est grâce aussi à Paul Verhoeven, Michael Douglas, Sharon Stone, Jerry Goldsmith, Jan De Bont. Eszterhas oublie que le cinéma est un travail d’équipe et qu’avec les bonnes personnes on a toutes les chances d’obtenir un bon résultat. Et c’est là où le livre pêche. A trop vouloir faire l’apologie de son métier et nous rabâcher constamment que le scénariste, éternel incompris dans le système hollywoodien, est en fait celui par qui tout arrive (ce qui n’est pas forcément vrai), le livre passe souvent à côté de ce qui aurait pu être son sujet. Telle lors de deux citations qu’Eszterhas met en parallèle, l’une de William Goldman (« Quand j’étais gosse, les livres, c’était important ; le théâtre, c’était important ; les films, c’était notre plaisir secret. Maintenant, ce qui domine notre culture, c’est le cinéma. ») et l’autre de Norman Mailer (« Les films touchent les gens au plus profond d’eux-mêmes, bien davantage que la littérature. Dans une salle obscure, même ceux qui ne savent pas lire peuvent ressentir des émotions profondes. »). Dans ce rapprochement, Eszterhas touche à ce qu’aurait pu être son livre, une réflexion sur son art, à la frontière entre la littérature et le cinéma et sur l’évolution de ce dernier. Mais il n’en est malheureusement rien.

Et Eszterhas de nous donner qu’un bref aperçu du métier, des conseils sur la mise en condition au moment d’écrire souvent pertinents, sur la façon de se positionner par rapport à Hollywood (et qui ne nous seront guère utile car il faudrait aller vivre aux Etats-Unis pour les mettre en pratique) mais rarement des conseils sur l’acte d’écrire un scénario. Et ce dernier de citer Dan O’Bannon pour bien appuyer son propos : « La plupart des choses qu’on lit sur la façon d’écrire un scénario sont écrites par des gens qui ne savent pas en faire… Il y en a peu qui le savent, et ceux qui le savent ont tendance à ne pas en parler. Pour une raison évidente : pourquoi former ses propres concurrents ? On le sait, mais c’est comme dans les pompes funèbres : les choses se transmettent en secret. »

showgirls

Finalement, à travers ses brèves de comptoir, voire même d’oreiller tant il est souvent question de cul, c’est d’Hollywood dont nous parle surtout Eszterhas. Que les anecdotes reportées ici soient vraies ou non, peu importe. Comme toute rumeur détient en elle une part de vérité, elles donnent une image du milieu du cinéma hollywoodien qui est certainement proche de la réalité. Et dans les multiples directions que le livre prend, dans les circonvolutions dans lesquels il se perd, dans les virages mal négociés voire manqués, il n’en reste pas moins un ouvrage qui, à la longue, s’avère très sympathique. Comme une conversation à bâtons rompus avec Eszterhas en personne au coin d’un bar, quand la cloche sonne le dernier verre et que son lecteur (nous) et lui-même sont déjà pas mal imbibés et poursuivent la conversation dehors, cherchant un lieu où continuer à se sustenter un peu plus et repousser le levé du soleil. Qu’en restera-t-il le lendemain au réveil ? Un mal de tête de près de 500 pages ? C’est probable mais aussi une furieuse envie de retourner voir le bonhomme, de lui dire qu’il nous avait manqué dans ce cinéma si formaté dernièrement et de se laisser tomber à nouveau dans sa diatribe et vivre par procuration les dessous de cette Mecque qu’est Hollywood.

Philippe Sartorelli

A la conquête d’Hollywood (le guide du scénariste qui valait un milliard) de Joe Eszterhas est paru aux éditions Capricci



Collection érotique (Bach Films) : L’eau à la bouche

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la fessée affiche

Bach Films met à la vente en DVD trois films érotiques, La fessée de Burd Tranbaree, Belles d’un soir et Le sexe qui parle de Frédéric Lansac. Avec quelques petites peu farouches sachant mettre l’eau à la bouche. Au spectateur alors de suivre ou pas Gainsbourg et de quitter la rive ou partir à la dérive.

Curieuse époque que ces années 70. Des cinéastes étaient capables de passer de la comédie classique tout public au film pornographique sans sourciller, juste histoire de continuer à travailler. Des exemples ? Sans être légion, ils sont toutefois assez nombreux.
Ainsi Claude Bernard-Aubert, capable de signer Le facteur s’en va-t-en guerre (1966) avec Charles Aznavour et L’affaire Dominici (1973) avec Jean Gabin pour repartir, caméra à l’épaule et sous l’anagramme de Burd Tranbaree, filmer les galipettes de La fessée en 1976 ou Excès pornographiques l’année suivante. Cette même année 1977, il réalise également un thriller se déroulant pendant la dernière guerre, L’aigle et la colombe, et alterne ainsi les films de cul avec le classicisme.

Restons dans les anagrammes : Pierre Unia s’applique sur des comédies pouet pouet, style Le pied (1975), avec Micheline Dax, Christian Alers, Perrette Souplex et Katia Tchenko. Et, sous le nom de Reine Pirau, s’en donne à cœur joie avec Une hôtesse très spéciale (1979), Vacances polissonnes (1980) ou Bouches à plaisir, culs pour jouir (1982).

Belles d'un soir affiche

Claude Mulot a fait preuve de quelques velléités artistiques avec La rose écorchée (1970), jouée par Philippe Lemaire et Anny Duperey ou La saignée (1971) avec Bruno Pradal, Charles Southwood, Gabriele Tinti, Ewa Swann, Patti d’Arbanville (la Lady de Cat Stevens), Sydney Chaplin (le fils de) et le chanteur Pierre Vassiliu. Il réalise encore Profession : Aventuriers (1973) avec Nathalie Delon, André Pousse, Curd Jürgens et le même Charles Southwood, héros de westerns spaghetti aperçu également chez Lautner (Quelques messieurs trop tranquilles). Déjà auteur d’un Sexyrella en 1968, Mulot enchaîne, sous le nom de Frédéric Lansac avec une série de pornos : Les charnelles (1974), Y’a pas de mal à se faire du bien (1974), Le sexe qui parle (1975), Suprêmes jouissances (1977), La grande baise (1977), Belles d’un soir (1977), j’en passe et des meilleurs. Avant de revenir en 1981 avec un sommet du septième art, digne de Max Pécas : Le jour se lève et les conneries commencent, dans lequel on croise Maurice Risch, Jacques Legras, Henri Guybet, Valérie Kaprisky (dans un petit rôle et encore sous son véritable patronyme de Valérie Chérès) et, cerise sur le gâteau : Johnny Hallyday ! D’ailleurs, on parle de Max Pécas et Mulot écrira pour lui, en 1987, le scénario de On se calme et on boit frais à Saint-Tropez. Ah bon ? Y’avait un scénario ? Faut croire !

Claude Pierson, connu du grand public pour La grande récré (1976), que jouent les frères Préboist, Michel Galabru, Roger Carel et quelques autres, est également un grand pourvoyeur de pornos, sous les noms d’Andrée Marchand, Caroline Joyce ou Paul Martin. Avant et après ce film familial qu’est La grande récré.

Quant à Serge Korber, il se montre tout aussi capable de filmer Louis de Funès dans L’homme orchestre (1970) et Sur un arbre perché (1971) que Sylvia Bourdon, reine du hard, dans À bout de sexe (1975). Il prend alors le nom de John Thomas pour dérider d’autres muscles que les zygomatiques. Lequel À bout de sexe est tourné immédiatement après Ursule et Grelu, histoire d’amour entre Annie Girardot et Bernard Fresson.

À côté de ceux-là, un des maîtres du porno à la française, Gérard Kikoïne, a donné quelques-unes de ses lettres de noblesse au genre avec des titres tels que L’amour à la bouche (1974) ou Entrechattes (1978) ou encore Bon chic bon genre… mais salopes !! (1983). Tout un programme ! Et bien ce monsieur se recycle à la télé et va signer plusieurs aventures du Commissaire Moulin.

Voici donc disponibles à la vente La fessée, Belles d’un soir et Le sexe qui parle, trois films qui firent transpirer les adolescents de la fin des 30 glorieuses. Le sexe allait ensuite s’enfermer dans le circuit porno et se ghettoïser et les trois films en question, signés on l’a vu par des cinéastes qui jonglaient d’un style à l’autre, allaient devenir le fleuron d’un âge d’or révolu. Bach Films a d’ailleurs choisi de montrer ces trois récits dans leur version soft.

On passera sur Belles d’un soir vu que, sorti des scènes de cul coupées au montage -n’oublions pas que nous sommes ici en présence d’une version non-pornographique-, le film ne garde que quelques bavardages pas très folichons, malgré la présence d’une jeune Brigitte Lahaie. Et, plutôt que montrer la libération féminine, ainsi que le prétend Christophe Lemaire dans le supplément, on se demande si tout ceci n’est pas simplement phallocrate, dans la grande tradition du genre. La fessée, quant à lui, ne s’intéresse qu’à une seule pratique, qui lui donne tout son sens. mais qui peut au bout d’un moment, une fois que l’on a compris, lasser sur la longueur.

Sexe qui parle affiche

On ne le croirait a priori pas mais Le sexe qui parle se réfère à Diderot et à ses Bijoux indiscrets, un roman licencieux dans lequel le superviseur de L’Encyclopédie raconte comment, grâce à un anneau magique, un sultan peut faire parler les sexes des femmes, les bijoux du titre. L’idée est étonnante et, lorsque le film sort, ce n’est pas le nom de Diderot qui attire le chaland. Ce sexe, qui cause du nez avec une voix exaspérante, va soudain dire tout haut des pensées refoulées par la jeune femme à qui il appartient. Comme si la société plus ou moins puritaine dans laquelle ils vivent, elle et son mari, faite de travail, de sexe conjugal pantouflard et de soirées entre ami(e)s, se mettait à hurler des vérités que personne n’est prêt à entendre.

On notera encore cette promiscuité entre les cinémas érotique et classique en la personne du chef opérateur du film, Roger Fellous. Celui qui a débuté comme cameraman chez Marcel Carné (Hôtel du Nord, 1938) photographiera ensuite les œuvres de Marc Allégret, Georges Lautner, André Cayatte, Julien Duvivier et Luis Buñuel avant de s’embarquer dans le porno. Il signe ici quelques plans particulièrement iconoclastes : puisque le sexe de l’épouse se met à causer, Fellous filme de l’intérieur ses interlocuteurs, visibles par une fente auréolée-olé de poils. De la même manière, le journaliste qui voudra interroger ce sexe bavard va devoir glisser son micro à l’intérieur pour mieux entendre.

Avec ce troisième film, on est carrément dans une réelle histoire dont la subversion n’est pas à négliger. Dans Le sexe qui parle, il sera question de sujets souvent tabous, y compris en matière de cinéma érotique : l’inceste, les relations sexuelles entre un surveillant de classe et ses jeunes élèves, la religion avec une séquence fort à propos de coucherie dans un confessionnal, ou l’utilisation d’un jouet enfantin -Pinocchio au long nez de bois- comme substitut masculin. Dans ce film 100% hétéro (ce qui signifie, entendons-nous bien, les hommes avec les femmes et les femmes entre elles), on voit même, le temps d’une séance de pose devant une artiste peintre, deux jeunes éphèbes se caresser. Mais le principal sujet du film, celui qui a dû faire grincer quelques dents, est celui du couple. La femme a beau crier sur les toits qu’elle aime son mari, voilà son sexe qui se met à causer pour dire des choses franchement pas sympathiques. En matière de jouissance, le mari s’y prend comme un bleu et le personnage de mâle conquérant y perd de sa superbe. Toute une époque !

Jean-Charles Lemeunier

Collection de films érotiques sortie chez Bach Films le 11 août 2014.

Une vidéo du journaliste Christophe Lemaire, spécialiste de cinéma bis qui apparaît dans les suppléments de la collection, interviewé par ARTE.


Doctor Who 8×09 – Flatline : entre les murs

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Après les évènements de l’épisode précédent où le duo chassait la momie dans un Orient-Express science-fictionnel, Clara cédait à son irrépréssible désir de poursuivre ses aventures avec le Docteur, n’osant pas l’avouer à Danny, coupant court leur conversation téléphonique (à laquelle elle met un terme avec un « Je t’aime » ambigu puisque annoncé au moment où le Docteur est dans le contre-champ). On la retrouve donc ici dans une situation impossible (ce qui demeure somme toute logique pour une fille impossible) où elle doit jongler entre ses virées dans le TARDSI et ses rendez-vous galants, quasiment comme au début de sa relation avec Pink sauf que désormais ce dernier connait l’existence de son rival extra-terrestre. Le timing est donc toujours très serré pour elle et parvenir à tout maîtriser va devenir compliqué. En fait, cela deviendra problématique dès cet épisode puisque au lieu d’apparaître quelques instants après être parti, le TARDIS atterit à deux cent kilomètres de distance, à Bristol, où une espèce extra-terrestre inédite vivant dans une dimension plane tente de se matérialiser dans notre monde en 3D au prix de multiples vies humaines dont il ne reste que des silhouettes aplaties sur les murs.

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A la difficulté de déterminer le type de menace, s’ajoute le rapetissement de l’enveloppe externe du TARDIS (l’intérieur issu d’une autre dimension ne changeant pas), empêchant le Docteur de rejoindre Clara sur le terrain d’enquête.
Une situation qui aura certains aspects cocasses puisque le Docteur pourra toujours au moins sortir une main de taille normale par la porte miniaturisée d’un TARDIS dont la taille le fait ressembler à une tirelire ou un goodies. Ce qui vaudra une séquence de fuite dans le plus pur style de la main de la famille Adams.
Tout en parvenant à un bel équilibre entre lutte contre la menace du jour et poursuite de l’exploration de la relation Docteur/Clara avec un rythme allant crescendo, Flatline prononce un peu plus encore l’importance de Clara dans cette saison, son rôle central, en la substituant carrément au Docteur. Obligée de se démener seule en liaison radio avec Twelve, elle hérite ainsi temporairement des attributs du Timelord – la carte d’identité en papier psychique et le fameux tournevis sonique – et doit expérimenter les choix et décisions auxquels le voyageur espace-temporel est perpétuellement confronté.

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L’attitude, le comportement, voire même la stature de Clara depuis le début de cette huitième saison la rapprochent indéniablement d’une version féminine du gallifréen, Moffat et ses scénaristes s’ingéniant à multiplier les correspondances pour favoriser une logique assimilation. Et ici, c’est franchement entériné, Clara se prenant immédiatement au jeu en se présentant très vite comme étant le Docteur, rajoutant malicieusement dans la foulée qu’on peut l’appeler Clara. Une élève particulièrement douée, pas seulement pour renverser une situation compromise, comme semble le déplorer le Docteur en titre car il sait (et l’a exprimé dans le final de Mummy on the Orient-Express) ce qu’il faut endurer. S’esquisse alors la possibilité d’un destin funeste pour la pétillante Clara, d’autant plus lorsque l’on retrouve Missy se féliciter de son choix. Attention, car si elle semble pouvoir endosser les habits du seigneur du temps, elle n’en a pas le pouvoir de régénération.

Nicolas Zugasti

Doctor Who – Flatline : extra


Doctor Who Saison 8 – épisode 09 : Flatline
Showrunner : Steven Moffat
Réalisation : Douglas Mackinnon
Scénario : Jamie Mathieson
Interprètes : Peter Capaldi, Jenna Coleman, Samuel Anderson, Ellis George…
Montage : Nic Morris
Photo : Philipp Hookway
Musique : Murray Gold
Origine: Royaume-Uni
Duréé : 45 mn
Diffusion BBC One: 18 octobre 2014


Dossier John McTiernan – dimension fantastique : aux frontières de l’autre

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Predator_aff

« Il y a peut être vingt secondes dans Piège De Cristal où je suis parvenu à une image qui ait l’intensité du rêve« . John McTiernan, interview donnée pour le numéro 64 de Starfix (septembre 1988)

Un credo que le cinéaste s’est pourtant attaché à développer dans tous ses films. En effet, le caractère onirique, fantastique et même mythologique de certaines images et séquences n’imprègne pas seulement ses œuvres les plus ouvertement liées au genre comme Nomads , Predator ou Last Action Hero mais également au sein de ses films les plus éloignés de ce registre tels Rollerball, Basic, Die Hard ou A la poursuite d’Octobre Rouge.
Cela se traduit de diverses manières à l’écran mais avec à chaque fois la volonté de servir le récit, de formaliser un point de vue particulier afin de densifier la narration.
Ainsi, on retrouve disséminées quelques images éparses venant en contre-champ du héros qui vont former un étonnant contraste, soulignant le fait qu’il est étranger au monde qu’il s’en va arpenter et dont il a presque la sensation de vivre un rêve éveillé. Le plan où arrivé au milieu de la fête de noël organisée au trentième étage de la tour Nakatomi, il observe une scène presque irréelle montrant trois personnes discutant au milieu de végétation et derrière un voile d’eau d’une fontaine au premier plan. Le tout dans la lumière tamisée du couchant renforçant la sensation de détachement.

McT fantastique _Die Hard une vision hors du temps

Que ce soit lors de l’arrivée en limousine ou lors de la discussion dans le bureau de la femme de McClane, la lumière orangée du crépuscule offre un contrepoint apaisé avec la violence qui se déchaînera plus tard, rendant ce lieu cauchemardesque.
On est souvent plongé dans le registre du conte dans le film, par l’ouverture du coffre rythmé par la 9ème symphonie, sorte de « Sésame ouvre toi », mélomane ; par la prise en charge du récit par Théo lors de l’assaut mené par les forces de police pour pénétrer dans la tour et qui utilise des termes de ce registre (il était une fois, chevalier, etc), soit une véritable attaque de château fort que les « terroristes » mettront en déroute à coup de lance roquette qui dans le programme de la scène pourra être assimilé au souffle d’un dragon ; la pluie finale des titres convoités par Gruber et sa bande qui retombent comme de la neige.

Dans A la poursuite d’Octobre Rouge on retrouve également cette volonté de dépayser totalement le protagoniste principal. Ainsi, lorsque Jack Ryan doit quitter son rassurant envirronnement bureaucratique pour entrer en action sur le terrain, son arrivée sera soulignée par une apparition fantastique. Débarquant sur un chantier d’assemblage de sous-marin pour consulter un expert afin d’en savoir plus sur l’Octobre Rouge, il fait face à une carcasse enveloppée de fumée, une image saisissante donnant l’impression d’une confrontation avec un monstre mythique sortant de la brume (un Léviathan). Plan métonymique de ce qu’il devra accomplir (repérer l’Octobre Rouge) pour rencontrer Marko Ramius.

octobrerouge_sous-marin dans la brume

Une image est encore plus marquée et marquante dans Le Treizième guerrier lorsque Ibn Ahmed Fadlhan et les vikings de Bulywif voient émerger de l’horizon brumeux ce qu’il semble être un serpent de feu, peut être un dragon. Seule une plus fine observation, une objectivation du regard, permettra finalement de révéler qu’il s’agit en fait d’une colonne de Wendols à cheval portant des torches.

13emeguerrier_dragon de feu

Invisibles
La démystification de ce qui menace la peuplade viking sera au coeur du récit. La lumière du lettré arabe pénétrant l’obscurantisme barbare. Mais l’influence se fera également dans l’autre sens puisque Fadlan s’éveillera aux subtilités des coutumes e comportements de ces hommes d’armes.
Le film est à la limite de l’héroïc-fantasy avec cette tribu Wendol qui semble invincible (les corps des assaillants touchés lors du premier affrontement ont disparu) et qui parvient à se fondre dans l’environnement minéral de cette lointaine contrée.
Le salut pour le héros proviendra de sa capacité à se fondre dans le décor, Predator est particulièrement exemplaire de ce point de vue là, notamment par le biais du staccato, les trois raccords dans l’axe montés en jump-cut, débutant sur Dutch brandissant une torche et poussant un cri bestial et finissant en plan large où l’on ne distingue quasiment plus l’humain de la végétation qui l’entoure. Une créature d’ailleurs caractérisée par son camouflage technologique auquel Dutch oppose un camouflage organique (la boue dont il est recouvert).

Predator_invisibilité

L’invisibilité de l’antagoniste est ainsi une constante dans l’oeuvre de McT. Des Wendols donc qui semblent surgir de nulle part aux sous-marins dont on ne peut déterminer la présence qu’aux sons qu’ils émettent ou au bruit particulier de leurs torpilles en passant par la voix de Simon Gruber dictant ses volontés. McTiernan détourne ce paradigme d’un danger tapit dans l’ombre avec Die Hard. En effet, afin d’agir efficacement à la libération des otages, John McClane doit rester inconnu de Gruber et sa bande le plus longtemps possible, impossible à circonscrire, anonyme, en tout cas demeurer irrepérable en empruntant coursives, cages d’ascenseurs et autres voies annexes à celle contrôlées par les bad-guys. Il demeure menaçant pour eux parce que non identifié (McClane est quasiment une figure de croquemitaine de slasher par moments).

Et puis, rien de plus dramatique et impressionnant qu’une silhouette fugitive dont on ne peut deviner les intentions. Comme lorsque Danny Madigan, au moment de sortir de l’appartement miteux qu’il partage avec sa mère pour se rendre à l’avant-première spéciale et nocturne de Jack Slater IV, voit dans l’embrasure d ela porte le mouvement fugace d’un individu dans l’obscurité du palier. Ce dernier se précipitera dans l’ouverture et plaquera le garçon face au mur afin de lui voler du fric. On ne verra que tardivement le visage de l’agresseur, McT cadrant essentiellement le visage du gamin où se lisent ses réactions, renforçant le sentiment d’effroi confronté à un ennemi sans visage.

Last Action Hero_menace invisible

Masques et seuil
Autre motif imprimant une sensation fantastique, les masques. Dans Rollerball, Jonathan Cross a été sévèrement bastonné sur la piste et le sang qui a coulé sur son visage lui fait arborer une espèce de masque de la mort rouge tandis qu’il se relève pour en finir avec le système.

Rollerball_le masque de la mort rouge

Dans Basic, le capitaine Osborne en poursuivant Tom Hardy dans les ruelles de Panama traverse une sarabande festive où les masques auxquels elle fait face la renvoie aux apparences trompeuses de toute l’enquête.

Basic_masque

C’est peu après qu’elle parviendra devant l’entrée où s’est engouffrée celui qu’elle poursuit et qui symbolise un seuil à franchir pour atteindre la vérité.

Basic_seuil vers vérité

En le passant, elle fait face à son gardien aveugle, reflet de sa propre cécité dans l’affaire.

Basic_gardien représentation état

Autre seuil dans Medicine Man, la rencontre avec le professeur Campbell qui se fait au moment de la découverte par Crane d’un attroupement indigène en pleine forêt autour d’un feu, dans une sorte de célébration paganiste.

medicineman_cérémonie paganisme

Le seuil est clairement marqué dans Last Action Hero par le passage entre la salle de cinéma et la fiction permit par le ticket magique de Houdini.

Last Action Hero_seuil

Dans Die Hard With a Vengeance, McClane franchit les portes du fourgon de police l’ayant conduit dans le quartier de Harlem pour débarquer dans le monde réglé par ce que Simon says.

Die Hard 3_franchissement seuil

Le duel final de Predator se déroule dans la jungle obscure une fois traversé le seuil, une fois passé le pont formalisé par un immense arbre renversé enjambant le précipice et sur lequel l’indien s’offre en sacrifice.

Predator_seuil

L’intensité onirique recherchée par McTiernan survient donc par différents moyens et c’est sans doute dans Medicine Man, film qui mérite d’être réévalué, qu’elle s’exprime le plus amplement. On passe ainsi du rêve au cauchemar en quelques scènes. Alors que le docteur Crane découvre avec émerveillement la forêt d’émeraude où vit Campbell (dans une séquence où le duo s’envole dans les airs grâce à un ensemble de cordes et poulies auxquels ils sont arnachés), elle assiste horrifiée dans le final à la destruction du rêve de Campbell dans une scène filmée de son point de vue où elle voit le professeur pénétrer en territoire ennemi (avec un dangereux enfermement figuré par les camions encadrant au premier plan la silhouette de Campbell en arrière plan). Puis ce dernier se fait molester par les responsables du chantier de déforestation.

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Une séquence où les dialogues sont inaudibles, couverts par le bruit des machines, renforçant l’irréalité cauchemardesque de la scène qui se conclut par un terrible incendie ravageant la forêt et notamment l’endroit où vivait le peuple indigène dont Campbell était devenu le sorcier. Une image terrible de dévastation où tout est calciné, dans une sorte d’enfer sur Terre, emplit alors l’écran. Ces conséquences physiques reflètent alors l’état moral et psychologique des personnages.

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Une image de désolation qui rappelle celle venant conclure Predator où l’on retrouve Dutch débout au milieu des décombres, à peine discernable dans la fumée. Une vision à la texture onirique d’où émerge le survivant de l’explosion achevant sa transformation en une figure mythologique.

Predator_onirisme

Car au final, Predator raconte rien moins que la confrontation de Dutch, un Thésée moderne, avec le Minotaure. Le duel entre Dutch et le Predator au cœur de la jungle, au cœur du labyrinthe que la créature hantait jusque là, voit l’humain renverser la situation en attirant l’E.T sur un espace aménagé, se réappropriant une partie du terrain de chasse. Pour le combattre d’égal à égal, cela nécessite de sinon régresser du moins retrouver un comportement plus primitif, instinctif. Séquence entière se déroule sans parole et McT fait preuve d’une spacialisation exemplaire (avec le feu issue de la flèche explosive comme point de repère), construisant un spectaculaire et intense combat de Titans.

Mythologie
La volonté de frayer avec des récits mythologique infuse l’oeuvre de McT de diverses manières.
Premièrement, par diverses images remarquablement évocatrices comme le puissant Dutch recouvert de boue faisant penser à un Golem, le cheval de Troie dans la stratégie de Thomas Crown pour voler une toile dans un musée ou des noms qui renvoient explicitement aux récits mythiques (Zeus dans Die Hard 3, le professeur Campbell dans Medicine Man qui partage le même patronyme que le célèbre mythologue Joseph Campbell, le roi Buliwyf dont le nom renvoie à la légende nordique de Béowulf).

Thomas Crown_cheval troie

Visuellement, McTiernan met en valeur ses personnages en créant une espèce d’aura en utilisant les reflets générés par des sources de lumière provenant de derrière eux.
Un effet qui créé à la fois un aspect onirique et met en valeur les personnages pour accentuer leur dimension iconique. Mais peut également avoir une fonction ironique, les frères Gruber sont ainsi montrés dans toute leur splendeur de génies du mal et toute leur suffisance de vulgaire voleur explose.

Nomads_auraLast Action Hero_aura SlaterDie Hard _ aura bigger than lifeDie Hard _ auraDie Hard 3_aura Simon

L’ultime étape de la dimension fantastique instauré par McTiernan est la construction mythologique de personnages pour en faire des dieux et que le réalisateur va s’ingénier à confronter au réel dans une mise à l’épreuve ultime. C’est particulièrement prégnant dans Thomas Crown où Catherine Banning et le personnage titre sont clairement dépeints comme des dieux perdus au milieu des hommes.
De par sa beauté et ses malheurs en amour, Thomas Crown est un Apollon mais il est également présenté en introduction comme Chronos. Une success
on de plans partant de la stratosphère pour se rapprocher de la Terre et se focaliser sur la montre du milliardaire induisent l’idée que le monde est synchronisé à son action.

Thomas Crown_Cronos1Thomas Crown_Cronos2Thomas Crown_Cronos3Thomas Crown_Cronos4

Peu après, sa visite au musée, on le retrouve arrivant dans le gratte-ciel siège de son enreprise. Il y est mis en valeur par un traveling arrière en contre-plongée, magnifiant sa stature et accentuant sa domination sur l’espace. Ce qu’entérine le plan où, regardant par la fenêtre de son immense bureau perché au sommet du gratte-ciel siège de sa société (sa tour d’ivoire ? Sa forteresse de solitude ?) le reflet de son visage en surimpression semble imprégner le panorama de la ville.

Thomas Crown_godomine

Quant à Catherine Banning, son arrivée dans le récit advient lorsque les flics déboulent dans le musée après le vol d’une toile de Monet. Le jeu des éclairages, des lens flare et la découverte de sa présence par une caméra remontant de son pied à son visage magnifient son allure, sa posture. Véritable Aphrodite faisant chavirer les coeurs.

Thomas Crown_Banning entre en scène pied apparaît dans le champ de vision du flicThomas Crown_mvt ascendant caméra fait découvrir la charmante personne qui vient d'arriverThomas Crown_maintenant un brasThomas Crown_et enfin le visage que le lens flare rend irréel

On découvre cette déesse incarnée par les yeux de l’inspecteur McCann, référent du spectateur qui comme lui sera absolument fasciné par ces deux êtres aux préoccupations intimes, des divinités jouant à se défier, se séduire et s’aimer.

McT use également de ces correspondances mythologiques pour parvenir à une désacralisation des icônes que le cinéma a créé. Comme le destin du personnage de Jack Slater qui va durement se confronter à la réalité ou cette séquence voyant McClane et Zeus craignant qu’une bombe explose plongent au sol à la stupéfaction des passants.
Simon Gruber maîtrise parfaitement les évènements et alors que l’on entendait seulement sa voix donnant ses indications et ses ordres, sa première apparition le voit dominer complètement la situation depuis son poste d’observation le situant au-dessus de la plèbe, tel un Dieu du chaos admirant son oeuvre.

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Mais ses plans seront sans cesse perturbé par un éternel grain de sable, un emmerdeur, par le représentant de ses hommes qu’il aime manipuler, John McClane le héraut prolétaire.
Finalement, celui qui personnifiera le mieux ce parcours tortueux d’idole chutant de son piédestal pour renaître en tant que guide et mener la révolte des sans-grades si chers à McT est Jonathan Cross le héros de Rollerball. Prenant conscience du voile sur la réalité que représente sa starification, il va s’attacher à dépasser sa condition de jouet marketing de contrôle des masses pour renverser le pouvoir de Petrovich et acquérir véritablement une stature héroïque. Voire prophétique comme peut le suggérer le geste empreint d’admiration et de reconnaissance que fait de la main une jeune fille alors que le peuple reprend violemment les choses en main.

Rollerball_jonaton sanctifié

Mais le plan le plus poignant demeurera celui de Bulywif entrant dans la légende en passant le seuil ultime de la mort.

13emeguerrier_mort d'un roi

Un personnage qui figure à merveille la conception profonde de McT, soit un héros au destin traversé d’élans épique et mythique qui sera un trait d’union entre l’intellectuel et l’homme d’action, entre la réalité et le mythe.

Nicolas Zugasti

 


Les croix de bois de Raymond Bernard : Les sentiers de la gloire

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On peut reconnaître aux films traitant du premier conflit mondial une énorme qualité : ils sont tous, en grande majorité, foncièrement antimilitaristes. Bien avant qu’on ne puisse voir Les sentiers de la gloire (bien que sorti en 1957, le film de Kubrick est devenu accessible au grand public français seulement en 1975), Les croix de bois était considéré à juste titre comme la meilleure production sur le sujet, avec le premier J’accuse d’Abel Gance (celui de 1919, pas son remake de 1938), La grande parade (1925) de King Vidor et À l’Ouest rien de nouveau (1930) de Lewis Milestone.

Adapté du roman de Roland Dorgelès, Les croix de bois réunit, si l’on en croit la légende, essentiellement des vétérans de la Grande guerre, y compris dans les rôles principaux. Le film suit le parcours de Gilbert Demachy (Pierre Blanchar) qui, fraîchement arrivé dans son bataillon, ne demande qu’à en découdre avec les Boches. Il déchantera vite, de même que le plus guerrier des spectateurs, tant le quotidien des soldats est rendu fidèlement, au plus près de l’humain.

Son auteur, Raymond Bernard, est un de ces cinéastes qu’il faudrait redécouvrir et célébrer. Si ce film sur la guerre de 14 est parfait, il ne faut pas oublier que le réalisateur, fils de l’humoriste Tristan Bernard, a également signé d’autres œuvres tout aussi achevées : Le miracle des loups (1924), Le joueur d’échecs (1927), Les misérables (1934, une version qui égale celle, muette, de Fescourt), Tartarin de Tarascon (1934, avec Raimu et la charmante Jenny Hélia), J’étais une aventurière (1939, une entraînante comédie « à l’américaine », dans laquelle Edwige Feuillère mène la danse, entourée de ces fantastiques excentriques du cinéma français), Les otages (1939, étrange film sur quelques notables pris en otage par les Allemands pendant la guerre de 14, qui annonce d’une façon glaçante ce que la France s’apprête à connaître) ou encore Un ami viendra ce soir (1946), avec Michel Simon.

croix_de_bois_Pierre Blanchar

Tout est remarquable, dans Les croix de bois. À commencer par le jeu des acteurs, d’une sobriété exemplaire, exception faite bien sûr de Pierre Blanchar, comédien exalté s’il en est, ici pourtant moins halluciné que dans d’autres films. Mais il faut voir Blanchar, fou de douleur et d’horreur, se mettre à hurler « On assassine des hommes » en plein cœur des combats pour comprendre combien il est à sa place ici. À ses côtés, Charles Vanel et Gabriel Gabrio sont parfaits, comme d’habitude, et Pierre Labry campe un froussard digne d’intérêt. On retrouve encore Antonin Artaud, Raymond Cordy, Aimos, Paul Azaïs, René Bergeron, bref, la fine fleur du contingent artistique de l’époque.

Filmés par Jules Kruger, le chef op’ de Gance, L’Herbier, Duvivier et Guitry -mais aussi un fidèle de la filmo de Raymond Bernard-, les combats sont d’un réalisme à couper le souffle. Ce qui est renforcé par le parti-pris de Bernard qui place un premier intertitre « La bataille dura dix jours », puis insiste « 10 jours ! » et encore « 10 jours ! » Ce passage est une véritable prouesse cinématographique, éprouvante pour le spectateur. Proche des combattants (les acteurs sont attachants), il est plongé dans les explosions mais aussi dans l’angoisse (avec les bruits répétitifs des coups de pioche des Allemands en train de creuser une galerie sous la tranchée française), l’horreur (les cris du blessé coincé dans le no man’s land)…

Les croix de bois Blanchar Vanel

Raymond Bernard a, en outre, l’élégance de ne pas plomber inutilement son film. Ses troufions font souvent preuve d’optimisme, capables de chanter après la mort d’un camarade pour se changer les idées et faire taire leur détresse. C’est d’ailleurs un des airs braillés par Sulphart (Gabrio), paroles et musique de sa composition, se vante-t-il, qui donne son titre au film : « Tu l’auras ta croix, si c’est pas la croix de guerre ce sera la croix de bois ».

Raymond Bernard sait aussi, le temps d’une séquence, verser dans le l’inspiration poétique et se souvenir d’Abel Gance lorsqu’il filme ce grand troupeau, pour reprendre Giono, qui monte en droite ligne vers le ciel ou qui, de régiment, se métamorphose en cimetière de croix blanches. Il faut bien reconnaître que Gance a été le premier, après le Charlot soldat (1918) de Chaplin, à s’élever contre la guerre et à mettre son lyrisme au profit d’un pacifisme salutaire. Raymond Bernard lui doit sans doute beaucoup mais, délaissant l’emphase chère à l’auteur de J’accuse, il mise sur le réalisme, écarte les faits d’armes héroïques. Car le véritable héroïsme est d’avoir réussi à supporter le quotidien des tranchées et la boucherie.

Le cinéaste filme la détresse de ces délaissés, pas seulement victimes des tirs ennemis. Les poilus sont bien oubliés de tous et surtout des gradés qui, alors que les soldats rentrent à peine du front et s’apprêtent à partir en permission, les envoient parader devant un général. Et si leurs femmes leur écrivent, à ces pauvres hères des tranchées, c’est pour leur dire qu’elles s’amusent et cassent leur talon à force de danser. Nous sommes ici aux antipodes du Paradis perdu d’Abel Gance, où une séquence montre des femmes exerçant des travaux pénibles pendant la guerre, ce qui est sans doute plus proche de la réalité pour leur grande majorité. Seules quelques-unes ont dû chercher à oublier la guerre dans le tourbillon des valses et c’est de celles-là et de celles qui trompaient leurs époux que Raymond Bernard choisit de parler. D’ailleurs, rentrant d’une permission à Paris, le soldat Sulphart raconte que les cinémas n’ont jamais été aussi pleins et que c’est une des façons d’oublier la guerre. Raconter de telles anecdotes à ceux qui se frottent tous les jours à la mort est encore plus cruel. Dit avec la gouaille de Gabriel Gabrio et filmé avec toute la discrétion de Raymond Bernard, ce dialogue n’en est que plus juste.

Enfin, rappelons ce temps où Les croix de bois étaient régulièrement programmé à la télévision le 11 novembre. Chaque fois, les magazines mentionnaient le cas de cet ancien combattant qui s’était suicidé après la vision du film dans les années soixante, preuve que Raymond Bernard a réussi à retracer fidèlement la réalité des tranchées.

Parmi les nombreux suppléments, on relève le dialogue entre l’historien Marc Ferro et Laurent Véray, enseignant d’histoire du cinéma à Paris 3 et auteur de La Grande Guerre au cinéma, de la gloire à la mémoire. Tous deux insistent sur l’humanité du film et sur l’absence, selon Ferro, d’idéologie (bien qu’il admette la réapparition de la lutte des classes dans l’une des séquences des Croix de bois). À noter également l’interview de Raymond Bernard, assez émouvante, et celle de Roland Dorgelès.

Les croix de bois (Pathé), sortie le 12 novembre 2014 dans une version entièrement restaurée.


LES CROIX DE BOI
Réalisation : Raymond Bernard
Scénario : Raymond Bernard, Roland Dorgelès, André Lang
Interprètes : Pierre Blanchar, Gabriel Gabrio, Charles Vanel, Antonin Artaud, Paul Azaïs…
Photo : Jules Kruger & René Ribault
Montage : Lucienne Grumberg
Pays : France
Durée : 1h50
Sortie française : 17 mars 1932


Doctor Who 8×10 – In the Forest of the Night : Promenons-nous dans les bois

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Un beau matin, le monde se réveille couvert d’une épaisse forêt. Pas besoin d’être Galifreyen pour comprendre que la planète bleue, devenue la planète verte, est en grand danger.

Deux pas en avant, un pas en arrière. Après deux excellents épisodes démontrant de quoi la série est capable dans ses meilleurs moments, voilà une livraison standard, et donc quelque part décevante.

Si le constat fait par le Docteur au sujet de Clara à la fin de Flatline amorçait le début du grand final qui devait éclaircir une ligne dramatique globale encore floue, ce détour par les bois est une faute de goût certaine, d’autant plus que l’épisode ne restera pas dans les mémoires comme un grand moment.

Doctor Who (series 8) ep 10

Nous voilà face à une aventure gentillette mais pas inoubliable, qui transforme presque une série familiale en une série enfantine, la faute à la présence d’un groupe de gamins insupportables tel qu’il devrait être interdit d’en avoir dans n’importe quelle série, n’importe quel film, ou n’importe quelle œuvre quelle qu’elle soit d’ailleurs.

Le reste, hélas, est à l’avenant de l’inintéressant. Alors que le mystère de la reforestation planétaire avance peu, les atermoiements du couple Oswald/Pink se poursuivent de plus belle, histoire d’en rajouter une couche et de creuser, très maladroitement, les personnalités de chacun. Au milieu de tout ça, le Docteur est une nouvelle fois perdu, comme on l’a déjà vu souvent depuis sa prise de fonction laborieuse, et jamais on ne sent les personnages véritablement en danger, faisant de cet épisode le pendant télévisuel d’une ballade dans les bois. C’est calme, plutôt joli et pas déplaisant, mais autant chausser ses bottes et sortir de son canapé pour aller prendre un bon bol d’air.

Au final, on se dit que la jolie idée qui sous tend tout l’épisode méritait mieux que cette version bancale du Petit Chaperon rouge, et qu’il est grand temps que cette huitième saison prenne fin. En espérant un feu d’artifice et pas un pétard mouillé.

Doctor Who Saison 8 – épisode 10 : In the Forest of the Night
Showrunner : Steven Moffat
Réalisation : Sheree Folkson
Scénario : Frank Cottrell-Boyce
Interprètes : Peter Capaldi, Jenna Coleman, Samuel Anderson, Abigail Eames, Jaydon HArris-Wallace, Ashley Foster
Montage : Lucien Clayton
Photo : Mark Garrett
Musique : Murray Gold
Origine : Royaume-Uni
Durée : 45 min
Diffusion BBC One : 25 octobre 2014


Dark Souls de César Ducasse et Mathieu Péteul : Hamlet norvégien

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Avec un démarrage en trombe, une jeune joggeuse attaquée dans la forêt par un forcené en combinaison orange armé d’une perceuse électrique, Dark Souls -rien à voir avec le jeu vidéo japonais du même nom- nous renvoie immédiatement à ces films des années 80, style Horrible de Joe D’Amato ou les slashers américains aux meurtres gores éclaboussés de sang. On aurait tort pour autant de considérer le film de ces deux jeunes Français tourné en Norvège comme un « à la manière de ». César Ducasse et Mathieu Péteul ont dû, certes, être nourris de ces films de zombis et de serial killers. De ceux de Takashi Miike et d’Abel Ferrara sans doute aussi. Le titre anglais du film, Zombie Driller Killer (qui signifie « Tueur zombie à la perceuse ») renvoie évidemment au film de Ferrara, Driller Killer. Raison de plus pour partir de situations connues et parvenir là où on ne les attend pas.

Car, malgré toutes les attentes, Dark Souls (Mørke sjeler pour le titre original) n’est pas qu’une histoire de serial killer malade. Ni de zombis. C’est un film original dans lequel le héros, loin du godelureau musclé, est un vieux bonhomme armé d’un seul appareil photo. Où le jeune flic n’est pas vraiment à la hauteur, où le rythme peut prendre ses aises avec les accélérations, se poser un temps, où rien n’est finalement résolu, où tout est finalement expliqué, où l’on est pris parfois d’un sentiment d’angoisse irraisonné, où l’on a souvent envie de souffler au personnage ses actions : n’y va pas, grouille-toi, fais gaffe, explique-toi mieux, etc. Bref, comme disait Kyan Khojandi, un film original comme on les aime.

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Ne résistons pas au plaisir du jeu de mot vaseux : Morten Ruda, qui joue le rôle du père, ne serait-il pas une sorte d’Hamlet à la norvégienne ? Comme le personnage de Shakespeare, rendu fou de douleur par la situation (chez l’un la mort du roi-père, chez l’autre la zombification de la fille), Morten tient à la police des propos incohérents et va aller traîner dans le royaume de la Mort pour essayer de comprendre ce qui se passe. Être ou ne pas être ? Morten était jusqu’alors un prof de musique sans histoires. Il va se transformer en enquêteur plus fin que la police elle-même.

En quoi Dark Souls sort-il des sentiers battus ? Il y a d’abord la Norvège. S’il est bien un endroit peu fréquenté par les films d’horreur, c’est celui-là. On pourrait citer Insomnia, bien que son remake américain soit beaucoup plus connu. Et sans doute quelques autres, appréciés des seuls aficionados.

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Puis les glissements de genres qui tiennent le spectateur en haleine tout au long du récit. Mais le meilleur atout du film tient sans doute dans son style de production. À l’origine, deux jeunes cinéastes français qui bricolent, sans trop de moyens. Dans l’un des suppléments, César Ducasse et Mathieu Péteul racontent même que le vêtement orange du tueur a été choisi tout à fait par hasard, sans savoir qu’il était la tenue des ouvriers des usines pétrolières norvégiennes. Le hasard, c’est connu, faisant bien les choses, l’histoire va se développer dans une direction pas forcément prévue au départ.

Enfin, la forme. Le 16 mm donne évidemment à Dark Souls un style qui renvoie aux mythiques Massacre à la tronçonneuse ou Blair Witch Project (la partie « documentaire » en noir et blanc). Et, cerise sur le gâteau, un humour subtilement présent.

À l’arrivée, un de ces films salués dans les festivals (Bruxelles, Sitges, Rhode Island, Manhattan, Sao Paulo), à la fraîcheur indéniable.

Jean-Charles Lemeunier

Dark Souls sorti en DVD et Blu-ray chez Le Chat qui fume le 5 septembre 2014.


Doctor Who 8×11 – Dark Water : la voie des morts

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Finalement, le moment le plus intense de l’insipide épisode précédent In The Forest Of The Night aura été le trailer tonitruant du double épisode final. Et entre la confrontation tant attendue avec la mystérieuse Missy, le retour d’anciens adversaires ou une Clara pétant un câble, difficile de ne pas être impatient de vérifier si toutes ces belles promesses sont tenues. Et la première partie intitulée Dark Water ne déçoit pas, mieux, elle parvient à bousculer les attentes et faire résonner un récit de machination à grande échelle avec la sensibilité de ses personnages, Clara en tête dont l’interprétation par Jenna Coleman est une nouvelle fois à saluer bien bas (incroyable et improbable de voir comment dans cette saison le gallyfréen et la fille impossible intervertissent régulièrement les rôles du Docteur et son compagnon). Et bien que généreux en péripéties et implications morales, on sent que l’épisode n’explore que la face visible de l’iceberg.

Mettre en place tous les enjeux et problèmes qui trouveront une résolution dans le finale tout en demeurant palpitant est une gageure ici superbement relevée. Même la surprise largement atténuée par le trailer de retrouver les cybermen reste accrocheuse grâce à des images marquantes (les logos en vis à vis sur les portes d’ascenseur se refermant sur un Docteur s’interrogeant sur ce qu’il a loupé ; les squelettes assis sur des sièges dans des cuves comme autant de sépultures translucides ou bien des alvéoles) et ce que cela implique comme répercussion importantes voire irréversibles pour un personnage majeur : Danny Pink qui vient de périr.

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Un choc inattendu qui ouvre l’épisode et le lance sur les chapeaux de roues en entraînant le récit vers des confins mythologiques si appréciés et familiers de Steven Moffat. Déterminée à jouer les Eurydice pour ramener d’entre les morts son Orphée de fiancé, Clara va littéralement entraîner le Docteur en enfer.
Afin de le persuader, plutôt le contraindre, à l’aider à faire revenir Danny, elle va menacer de jeter es sept clés ouvrant le TARDIS dans la lave d’un volcan, seul moyen de les détruire. Une confrontation remarquable d’intensité entre ces deux fortes personnalités. D’autant que cet environnement en fusion est un judicieux choix tant narratif que représentatif du bouillonnement intérieur de Clara. Ce face à face acquiert une certaine résonance symbolique car on sait que pour ouvrir les portes du TARDIS il suffit au Docteur (et Clara) de claquer des doigts mais ces sept exemplaires de la clé renvoient aux précédents compagnons qui en ont été détenteurs (une manière violente d’en finir avec le passé récent) et évidemment ce décor de volcan renvoie à l’épisode The Fires Of Pompei (4×02) qui marquait la première incursion de Peter Capaldi dans la série. Tandis que sa farouche volonté de réécrire le passé pour effacer la mort d’un proche rappelle ce que tentait Rose Tyler dans le poignant Father’s Day (1×08).
Il s’avère que tout n’était qu’une simulation onirique permise par le Docteur afin de déterminer jusqu’où Clara était prête à aller (plutôt loin puisqu’elle finira par jeter toutes les clés !) et ainsi mesurer son amour pour Danny.
Une séquence magnifique approfondissant les relations entre Clara et le Docteur, révélant ce qui les anime au plus profond (le « Do you think I care for you so little that betraying me would make a difference ? » du Doc est à fendre le coeur). Et l’on saisit à quel point l’affection du Timelord pour cette humaine est puissante car malgré sa trahison, il va l’accompagner pour tenter de récupérer son bien-aimé.

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Missy me ?
Après un tel roller-coaster émotionnel pour débuter, forcément, la suite de l’épisode va souffrir de la comparaison avec un rythme plus ralenti. Néanmoins, l’implication se situe à un niveau différent puisqu’en débarquant dans un mausolée gigantesque, ils vont découvrir en quoi consiste la Nethersphere ou le paradis ou encore la terre promise comme l’appelle aussi Missy, la maîtresse des lieux. L’immense projet de collecter les corps et les âmes, du moins les résidus de conscience, des personnes venant de mourir doit permettre de refaçonner l’enveloppe corporelle en l’enserrant dans une armure puis d’y télécharger ces esprits allégés de toute émotion stockés dans une espèce de serveur sphérique de technologie gallyfréenne afin de constituer une armée de cybermen (le processus de chargement des personnalités dans un espace informatique virtuel donnant l’illusion de réalité rappelle le double épisode de la quatrième saison Silence In The Library/Forest Of The Dead).
Mais ce qui fait évidemment tout l’intérêt et le plaisir de cette partie est de côtoyer de près cette fameuse Missy qui n’apparaissait jusque là que dans des pastilles concluant certains épisodes. C’est bien simple, dès qu’elle est à l’écran, elle éclipse le reste du casting.Michelle Gomez livre une performance éclatante, ses brusques changements de tons (de la pondération à l’exagération théâtrale en un claquement de doigts) sont hilarants tout en parvenant à dégager une certaine dangerosité.

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Et si Dark Water fini par révéler la véritable identité de cette Mary Poppins déglinguée (nul autre que le Maître, un Timelord disparu en fin de run de Russel T. Davies), ce n’est finalement pas le plus surprenant. Habile conteur, Moffat détourne l’attention par ce dévoilement tant attendu car le plus intrigant demeure l’absence totale de réactions de panique de la part de la population londonienne lorsque déferle l’armée de cybermen.
Qui dit Timelady dit compagnon et celui qui en fait office, le dénommé Seb chargé d’accueillir les morts récents est tout aussi savoureux, maniant avec grâce une affabilité suspecte.

Trois mots
Quant au pauvre Danny Pink, il prend difficilement conscience de son nouvel état et doit faire face à sa culpabilité toujours vivace sous la forme du jeune garçon qu’il tua lorsqu’il était soldat. Là encore, ce n’est pas tant la mise en lumière de son trauma qui importe (d’autant qu’il était assez aisé d’en deviner la teneur) mais son incapacité à prouver à Clara qu’il n’est pas une modélisation, un écho, de son amoureux. Leur conversation radiophonique est ainsi particulièrement poignante, Danny ne pouvant que réitérer inlassablement son amour lorsque Clara attend une preuve indéfectible qu’il s’agit bien de lui et pas le robot qu’elle entend. Leur échange prend alors une tournure tragique lorsque Clara menace de couper la transmission si il ne peut dire autre chose qu’il l’aime. Et Danny, par amour pour Clara qui a exprimé son désir de le retrouver coûte que coûte de l’autre côté, de le répéter une dernière fois.
Encore et toujours l’importance et la puissance des mots pour convaincre (Deep Breath), stopper une menace (The Caretaker, Mummy On The Orient-Express), rassurer (Listen), exprimer ses sentiments.

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Enfin, dernière diversion à mettre en exergue, celle entourant le nom de cette étrange comagnie dirigée par Missy, 3W. 3W pour Three Words (à moins que l’on apprenne dans le prochain épisode qu’il s’agit de Three Worlds ?…), trois mots essentiels pour son fondateur le docteur Skarosa dans sa découverte que même après la mort il demeure un lien entre le corps inanimé et le résidu de conscience : don’t cremate me. Incantation désespérée des âmes sans enveloppes qui ressentent encore les dommages physiques.
Moffat parvient ainsi à susciter une attente fébrile quant à la révélation de ces trois mots en la différant constamment jusqu’à agacement du Docteur qui, n’en pouvant plus, conjure le docteur Chang de lâcher enfin le morceau, reflétant à ce moment-là le propre ressenti du télespectateur.
Mais les trois mots véritablement essentiel sont le I love you prononcé par Clara pour lancer l’épisode puis repris par Danny. A l’état morbide de la crémation se confronte la vie contenue dans l’amour, une opposition qui anime en creux cette huitième saison qui, en explorant les sombres tréfonds de l’âme du Docteur sera parvenue à en extraire l’affection qui l’anime malgré ses choix radicaux.

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« Je t’aime »
comme expression de cet instinct de vie qui prévaut, comme expression d’un état sensitif terminal. Comme expression du sacrifice pour l’autre.
Après avoir éconduit Clara en répétant ces mots, Danny s’apprête dans le dernier plan à presser le bouton tactile d’effacement de son ressenti, de ce qui le constitue, de ses souvenirs. Soit devenir un robot sans mémoire, un cyberman, ulltime étape logique d’une saison rythmée par les robots et l’oubli (Deep Breath, Into The Dalek, Robot Of Sherwood, The Caretaker, Mummy On The Orient-Express) dont, malgré l’apparence sans coeur et les problèmes mémoriels, le Docteur représente le dernier rempart.

Enfin, si le titre de l’épisode du jour renvoie aux propriétés du liquide dans lequel les cybermen attendent leur réveil, il est peut être également une référence aux trois derniers mots du poème Sheep in Fog de Sylvia Plath.

The hills step off into whiteness
People or stars
Regard me sadly, I disappoint them

The train leaves a line of breath
O slow
Horse the colour of rust

Hooves, dolorous bells -
All morning the
Morning has been blackening.

A flower left out.
My bones hold a stillness, the far
Fields melt my heart.

They threaten
To let me through to a heaven
Starless and fatherless, a dark water.

Un poème datant de 1962 et qui a trait principalement à la solitude de son narrateur et son futur sans espoir où paradoxalement l’endroit menaçant dans lequel il est précipité est appelé un paradis. Soit peu ou proue la conclusion funeste qui pèse sur Danny Pink mais qui pourrait très bien concerner un autre personnage majeur.
Après tout, le season finale s’intitule A Death In Heaven.

Nicolas Zugasti

Doctor Who – Dark Water : extra


Doctor Who Saison 8 – épisode 09 : Flatline
Showrunner : Steven Moffat
Réalisation : Rachel Talalay
Scénario : Steven Moffat
Interprètes : Peter Capaldi, Jenna Coleman, Samuel Anderson, Ellis George, Michelle Gomez, Chris Addison…
Montage : William Oswald
Photo : Rory Taylor
Musique : Murray Gold
Origine: Royaume-Uni
Duréé : 45 mn
Diffusion BBC One: 01 novembre 2014



Doctor Who 8×12 – Death in Heaven : Hammer time

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Dark Waters, l’épisode précédent, avait laissé nos trois héros dans une mauvaise posture. Danny était à deux doigts de s’effacer volontairement de la Nethersphere, Clara se voyait menacée par un Cyberman, alors que le Docteur ne pouvait que constater le triomphe de Missy, aka Le Maître, et de son plan diabolique.

Un cliffhanger assez mou, renforcé par l’incompréhensible passivité des passants devant le groupe d’homme de métal défilant dans les rues. Ces mêmes passants qui quelques années auparavant avaient assisté à l’affrontement des Cybermen et des Daleks dans Doomsday, mais qui, pour une raison qui nous échappait alors, ne s’enfuyaient pas en hurlant comme ils auraient du le faire.

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Mais alors que Missy savoure son triomphe, les passants se révèlent être des agents de UNIT, qui se tenaient prêts à agir après avoir monitorés les agissements de 3W depuis un moment. Ça s’appelle un coup de théâtre, mais on peut très légitimement voir ça comme un Deus Ex Machina grossier. Si la série n’est pas avare de ce genre de désamorçage de cliffhanger, elle le fait habituellement avec plus d’inventivité. Le « Go to your room » de The empty child, déjà signé Moffat, reste un des fleurons du genre.

De son côté, Clara joue au Docteur pour sauver sa peau, puisque depuis Flatline l’on sait qu’elle excelle dans le rôle, alors que Danny a finalement décidé de ne pas s’effacer. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça, et puis c’est tout. Et les questions que se posaient les spectateurs précédemment (pourquoi Clara fait-elle un si bon Docteur au final ?) s’évanouissent devant une utilisation très basique de ce qui apparaissait comme des enjeux dramatiques primordiaux.

Les rebondissements, dès lors, n’apparaissent plus que comme des artifices destinés à faire avancer une ligne narrative qui manque de cohésion. Pas déplaisante, mais loin de la qualité d’écriture habituelle.

Le Docteur, que l’on croit un moment prisonnier au même titre que son meilleur ennemi, découvre que la coalition des chefs d’état mondiaux s’est mise d’accord pour qu’en cas de menace extra-terrestre imminente il soit nommé Président du monde, ayant tout pouvoir sur les armées humaines afin d’organiser au mieux la contre-offensive.

Pendant ce temps, le plan de Missy suit son chemin : en explosant dans l’atmosphère, les Cybermen vont en fait essaimer à travers le monde, sur tous les cimetières du globe, afin de transformer les morts en nouveaux Cybermen. C’est de là que va surgir la plus belle scène de l’épisode. Lorsque les Cybermen ressuscités s’extirpent de leurs tombes, l’épisode donne pour un court moment dans le gothique, et c’est à la Hammer que l’on pense immédiatement tant l’ambiance qui s’en dégage nous rappelle le Plague of the zombies de John Gilling.

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Comme il se doit, Danny devenu Cyberman, mais toujours doué d’émotions, sauvera Clara et le monde, Missy s’éclipsera histoire d’assurer son retour la saison prochaine, non sans avoir une dernière fois trompé le Docteur au sujet de la position de Gallifrey. A moins que….

On passera charitablement sur la dernière scène de Clara et Danny, téléphonée, qui ne fera pleurer que les moins que douze ans tant elle arrive comme un cheveux sur la soupe.

Ce dernier épisode ne relèvera pas la qualité d’une saison mitigée, quelques très bons surnageant au milieu d’une livraison globale passable, et on se focalisera sur l’accroche de l’épisode de Noël. Parce qu’il est grand temps de se débarrasser de Clara Oswald qui n’a décidément plus sa place auprès du Docteur, et parce que Nick Frost dans le rôle du Père Noël, ça le fait.

Doctor Who Saison 8 – épisode 12 : Death in heaven

Showrunner : Steven Moffat

Réalisation : Rachel Talalay

Scénario : Steven Moffat

Interprètes : Peter Capaldi, Jenna Coleman, Samuel Anderson, Michelle Gomez…

Montage : William Oswald

Photo : Rory Taylor

Musique : Murray Gold

Origine : Royaume-Uni

Durée : 60 min

Diffusion BBC One : 8 novembre 2014


Torso de Sergio Martino : L’intelligence et l’intuition

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Torso affiche

Les filons… De l’interview du cinéaste Sergio Martino, qui est l’un des fleurons des suppléments du DVD Torso, il ressort que le cinéma italien de la grande époque, à côté de celui des grands maîtres, était animé par une série d’artisans, quelquefois artistes, qui suivaient ces fameux filons à la mode. Un péplum remportait-il du succès ? Tout ce petit monde filmait des acteurs en jupettes qui faisaient jaillir leurs muscles en soulevant de lourdes pierres en polystyrène.  Le western spaghetti franchissait-il les frontières ? Adieu les toges, bienvenue aux stetsons et aux éperons. Dario Argento sortait-il L’uccello dalle piume di cristallo (1970, L’oiseau au plumage de cristal) que tous s’engouffraient dans les meurtres à arme blanche pour la plus grande joie des amateurs de gialli. Et lorsque les Américains amassaient les dollars à coups de Jaws, Star Wars, Indiana Jones ou New York 1997, les Italiens se ruaient sur les animaux féroces, les guerres étoilées, les aventuriers à la recherche de n’importe quoi ou sur des apocalypses du futur.

Et puisque Torso sort enfin en DVD, il est grand temps de porter un regard attentif sur son réalisateur, Sergio Martino, qui s’est illustré dans tous ces sous-genres et quelques autres encore, telles les comédies érotiques -ces marrantes et ô combien navrantes commediaccie. Et de saluer l’éditeur The Ecstasy of Films qui, avec quelques autres (Le Chat qui fume, Artus Films, Bach Films, Metaluna, etc.), pratique une véritable archéologie des films de genre.
Reconnaissons à Martino un goût certain pour les titres poétiques ou évocateurs. Citons le magnifique Il tuo vizio è una stanza chiusa e solo io ne ho la chiave (1972, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clef) et le titre original de Torso : I corpi presentano tracce di violenza carnale, plus approprié que le retitrage anglo-saxon, dont la traduction est « Les corps présentent des traces de violences charnelles ».

Qu’il soit produit par son frère Luciano Martino ou, comme avec Torso, par Carlo Ponti, Sergio Martino a certes suivi les modes mais en s’appliquant toujours à livrer d’excellents résultats. Grâce à lui, le giallo s’honore d’excellents exemples, que ce soit Il strano vizio della signora Wardh (1971, L’étrange vice de madame Wardh), La coda dello scorpione (1971, La queue du scorpion), Tutti i colori del buio (1972, Toutes les couleurs du vice) -tous ces titres sont sortis en DVD chez Neo Publishing- ou Torso. On lui doit quelques autres films très cotés chez les amateurs, tous genres confondus, que ce soit le western (Mannaja, 1977), les aventures dans la jungle de La montagna del dio cannibale (1978, La montagne du dieu cannibale avec, séquence frissons, la scène où Ursula Andress est ligotée à poil au poteau de torture par les méchants cannibales) et le mythique 2019 -Dopo la caduta di New York (1983, 2019 après la chute de New York). Les nostalgiques auront encore une pensée émue pour Barbara Bach telle que Martino l’a filmée dans L’isola degli uomini pesce (1979, Le continent des hommes-poissons) et Il fiume del grande caimano (1979, Le grand alligator). De quoi en faire une fugue !

La force des cinéastes italiens en général et de Sergio Martino en particulier est de ne jamais trop se prendre au sérieux. Ainsi, dans l’interview déjà citée, Martino revendique-t-il des scènes comiques jusque dans ses thrillers. Ainsi, raconte-t-il, dans La queue du scorpion, l’assassin se fait prendre la main dans une porte et la secoue dans le plan suivant, parce qu’il a mal.

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Il en est de même dans Torso. Les premiers cadavres du film, après une scène particulièrement éprouvante et sanglante, sont découverts par un vieux monsieur qui, comme il l’explique aux flics, était venu là « pour faire caca » et, du coup, cela lui a coupé son envie. Un peu plus tard, ce sont trois superbes filles qui débarquent en mini-jupes dans un village. Martino s’amuse à s’attarder sur les fanfaronnades des petits coqs locaux et sur la tête décomposée du benêt livreur de lait (Vincenzo Crocitti), un rôle qu’aurait pu tenir Alvaro Vitali. Des séquences dont on retrouve le style dans les comédies pures signées par le cinéaste, interprétées par Edwige Fenech, telles Giovannona Coscialunga, disonorata con onore (1973, Mademoiselle Cuisses-longues, dont nous avons déjà parlé ici), La moglie in vacanza… l’amante in citta (1980, au titre français très évocateur : Les zizis baladeurs) ou Cornetti alla crema (1981).

Mais ne nous fions pas à ces quelques sourires car Torso est un vrai giallo, un de ces récits policiers où un tueur inconnu massacre à tour de bras des victimes dont la plupart sont de ravissantes jeunes femmes déshabillées. Giallo, donc, avec tous les codes que cette terminologie entraîne, mais sacrément novateur. Certains plans semblent tout droit sortis du Halloween (La nuit des masques) de Carpenter, qui sera tourné en 1978, soit cinq ans après Torso. Notre serial killer italien porte lui aussi un masque blanc et semble apparaître et disparaître au gré de ses envies. Enfin, un plan nocturne le montre au loin, dans une forêt, entouré de brume. Une image qui pourrait être signée par Carpenter.

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Sergio Martino a choisi de situer son récit à Pérouse, en Ombrie, une petite ville célèbre pour son université (elle serait l’une des plus anciennes d’Europe). La cité est belle et le cinéaste se plaît à balader sa caméra dans les ruelles typiques, ne cherchant en rien à américaniser ou angliciser son scénario. Rappelons qu’à l’époque, la plupart des réalisateurs de westerns italiens ou de films d’horreur prenaient des pseudos anglo-saxons et que beaucoup de gialli se tournaient à Londres.

Autre étrangeté : à la manière d’un Tinto Brass, Martino mêle adroitement culture classique et film de genre. Torso s’ouvre sur une orgie qui s’enchaîne avec une image du Martyr de Saint Sébastien, peinte par Le Pérugin. Dans l’un des suppléments, Jean-François Rauger qui, à la Cinémathèque française, programme les soirées « Cinéma Bis », affirme qu’en montrant cette relation entre la souffrance et l’extase (les victimes du tueur rejoignant en cela le saint martyr), Martino se place dans une tradition catholique. Ce qui explique que, comme dans les slashers américains qui inonderont ensuite le marché, ce sont souvent les filles qui couchent qui sont les premières à tomber sous les coups de l’assassin. Une punition digne d’une morale religieuse qui condamne les pécheurs. Rauger ajoute que Martino filme avec beaucoup d’intelligence et d’intuition et l’on ne peut que se ranger à son avis.

L’érotisme est très présent dans Torso, fortement lié à la jeunesse, et l’on peut se poser des questions sur le regard que porte Sergio Martino. Est-il simplement voyeur ? Quand l’une des jeunes femmes du film (Cristina Airoldi, connue aussi sous le nom de Conchita Airoldi) se retrouve dans un squatt, Martino filme des gens drogués, des filles dansant seins nus, d’autres se laissant caresser l’air absent… Porte-t-il alors un regard moralisateur, semblant condamner ces agissements ? Quelques années plus tard, avec Avere vent’anni (1978), Fernando Di Leo filme la même jeunesse, les mêmes excès, le même amour libre, mais montre que la société, avec ses flics, ses juges et ses bien-pensants, n’est pas encore prête à accepter tout cela.

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L’identité du tueur. Voilà une question qui travaille le spectateur et avec laquelle Martino s’amuse. Regardez bien : pour chacun des protagonistes mâles, Martino glisse dans le plan un regard inquiétant, un foulard, une poupée, autant d’objets qui nous ramènent à l’identité du tueur. Et qui, surtout, nous font douter de tous.

Jean-François Rauger insiste sur un autre élément significatif de Torso. Après une première partie au cours de laquelle le spectateur assiste à quelques meurtres gore, la deuxième partie enferme les personnages dans une grande maison de campagne. Les nouveaux meurtres se situent hors champ et l’action principale, dont Suzy Kendall est le malheureux témoin, consiste, pour le criminel, à se débarrasser des corps. Le corps, insiste Rauger, est un élément essentiel des films ayant trait à des tueurs, et sa disparition l’est tout autant. Il cite The Trouble With Harry (1955, Mais qui a tué Harry ?) d’Alfred Hitchcock, dans lequel les différents personnages ne cessent d’enterrer et de déterrer le corps du pauvre Harry. Il aurait pu tout aussi bien parler de Rope (1948, La corde), dans lequel Hitchcock place le corps du défunt au centre du film sans jamais le montrer. Dramatique ou comique (on peut également penser à ce corps encombrant placé sous un kiosque dans The Gazebo, 1959, de George Marshall), le cadavre doit à tout prix disparaître. Le tueur obstiné de Torso choisit la scie, sous les yeux horrifiés de son éventuelle prochaine victime, et découpe avec conviction les membres et les torses. D’où ce titre anglais sous lequel sort le film.

Enfin, on saluera la qualité du travail de l’éditeur The Ecstasy of Films. Non content de nous faire découvrir une œuvre intéressante, il nous en livre les deux versions, italienne et anglaise, qui comportent quelques différences. Les unes sont anecdotiques. Ainsi, dans la version originale, le commissaire se nomme-t-il Enzo Di Salvo alors que les British l’ont rebaptisé Martino, sans doute pour se remémorer par la même occasion le nom du signataire du film. À noter d’ailleurs, puisqu’il est ici question de la police, qu’une fois de plus elle ne sert pas à grand chose et n’apparaît que pour poser des questions sans grande incidence. La plus grande différence entre les deux versions se situe à la fin du film. Autant la dernière phrase de dialogue, chez les Anglais, est insipide et conclut le film rapidement, autant, chez les Italiens, un réel échange rappelle une discussion qui s’est tenue bien avant dans le récit, dans laquelle les personnages discourent sur le hasard et la nécessité, et donne au film tout son sens. Artisan, Sergio Martino ? Dans certains cas, certainement. Mais dans d’autres, comme ici avec Torso, il est un véritable auteur, secondé il faut le préciser par son scénariste, l’efficace et talentueux Ernesto Gastaldi.

Jean-Charles Lemeunier

Torso
Année : 1973
Titre original : I corpi presentano tracce di violenza carnale
Réalisateur : Sergio Martino
Scénariste : Ernesto Gastaldi et Sergio Martino
Photo : Giancarlo Ferrando
Musique : Guido et Maurizio De Angelis
Producteur : Carlo Ponti
Durée : 89 minutes
Éditeur : The Ecstasy of Films
Avec : Suzy Kendall, Luc Merenda, Tina Aumont, John Richardson, Roberto Bisacco, Carla Brait

Édition en DVD et Blu-ray, sortie le 13 septembre 2014.


Le Vautour d’Andreas Ferenc / Sans laisser de traces de Peter Fabry : premières salves

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En retrouvant après des années de recherche la planque secrète du groupuscule CDCV (Commando de Défense des Cassettes VHS) décimé par les sinistres coups de boutoir d’une production mondiale pour moutons de panurge, Laurent Hellebé a mis la main sur plus d’un millier de films imprimés sur un support quasi préhistorique, la cassette vidéo, c’est dire s’il a l’esprit vintage. Plus ou moins oubliées, souvent inédites en DVD, pas toujours trouvables en téléchargement, bonnes ou mauvaises, Françaises ou venues de contrées éloignées, ces œuvres peu à peu aspirées dans le grand trou noir d’un espace cinéphilique déficient que combattent encore courageusement quelques sites et blogs se devaient de trouver quelques lignes de défense chez Versus.

Pour inaugurer cette chronique, rendons-nous d’abord en Hongrie pour découvrir Le Vautour, réalisé par Andràs Ferenc en 1982. Le film raconte la sale journée d’un chauffeur de taxi de Budapest qui se fait piquer sa recette par deux vieilles professionnelles de la choure. Accusé du vol par son patron, il est pris pour un rigolo par la police, prend une prune pour s’être garé devant le commissariat, son père l’accuse de lui extorquer du fric et sa mère, humiliation finale, lui refile quelques billets en douce. Divorcé, Joseph tente de se maintenir à flots et surtout décide de retrouver les voleuses. Via des annonces de récompense pour chiens perdus (il sait qu’une des vieilles a perdu son toutou), il piste les voleuses et prépare une vengeance étonnante de la part d’un simple quidam (il retrouve et tue le chien, kidnappe la fille de la vieille pourrie, embrouille les flics…). Le type est un revanchard au bout du rouleau, prêt à tous les sacrifices. On découvre dans ce film bien troussé au scénario ingénieux certains milieux populaires voire alternatifs de la ville : le monde des taxis, une copine prostituée en appart, demi-sels et magouilleurs divers, un truand trafiquant de voitures et prêteur sur gages… Très réaliste, bien joué, Le Vautour commence comme une chronique sociale et vire au polar noir. Des défauts bien sûr (le dernier accoutrement de Joseph, la zik 80’s synthé pouêt-pouêt et gratte électrique), mais un appréciable côté Pusher avant la lettre.

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Sans laisser de traces est lui signé Petér Fabry en 1980. Il se déroule également à Budapest dans une Hongrie toujours communiste mais en voie de transformation libérale. Le marché noir et les activités au black sont plus qu’une économie souterraine mais bien une seconde économie largement tolérée. Peter, qui mène une vie tranquille de décorateur de vitrines, renoue avec un vieux copain voyou. Il se décide à réaliser un coup et se retrouve vite la tête pensante d’une équipe avec qui il ne communique que via des vidéos. Les coups sont ingénieux, audacieux, et attire toute l’attention de la police qui, avec des méthodes très russophiles couplées avec les statistiques et les données d’ordinateurs, vont avancer dans leur enquête grâce à la méthode de l’entonnoir (habitants de la ville moins les malades, moins les trop vieux (manque d’énergie), les trop jeunes pour monter de tels coups (manque de maturité), ciblant les hommes ayant eu le bac (intelligence au moins dans la moyenne), ayant le permis (les flics savent que sur le premier coup, le chef atypique conduisait)…). Peter lui, organise, ordonnant à son équipe d’arrêter leurs combines, gérant en démiurge. Mais les flics se rapprochent, et ses associés le traque dorénavant, pour qu’il ne tombe pas vivant aux mains de la police. Présenté au Festival de Cognac du film policier 1984. Bien emballé et là aussi correctement joué, c’est un polar d’atmosphère malheureusement bien mou. La BO oscille entre du jazz, du sous François De Roubaix et quelques notes synthétiques. Le réalisateur n’ayant pas la réputation d’un Béla Tarr, Istvan Szabo ou Laszlo Szabo, le film est tombé dans l’oubli et se trouve encore moins répertorié sur la toile que Le Vautour.

Tonton Hellebé

Dögkeselyü (Le Vautour)

Réalisation : Andras Ferenc
Scénario : Andras Ferenc & Miklos Munkacsi
Photo : Elemer Ragalyi
Montage : Mihaly Morell
Musique : Gyorgy Kovacs
Pays : Hongrie
Durée : 1 h 55

Nyom nélkül (Sans laisser de traces)

Réalisation : Peter Fabry
Scénario : Peter Fabry & Istvan Nemes
Photo : Andras Peterffy
Montage : Mari Miklos
Musique : Laszlo Des
Pays : Hongrie
Durée : 1 h 43

 


Le Duo de la mort – La Proie de l’autostop – Scalps : perversions transalpines

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Autant vous l’écrire derechef, parmi le monceau de K7 vidéo découvert dans cet appartement du sud-ouest de la France, des dizaines de titres sont italiens et feront l’objet de plusieurs numéros de Roots. Mais pour débuter le versant rital de cette rubrique, voici trois titres très différents les uns des autres. Le plus incroyable et le plus inédit se nomme Le Duo de la mort. Il date de 1969, est signé Piero Schiavazappa et met en présence essentiellement Philippe Leroy et Dagmar Lassander. Lors du premier quart d’heure, on ne sait trop où le réalisateur veut aller : sommes-nous dans une comédie sociale et/ou politique caustique comme les cinéastes transalpins en ont le secret ou dans un giallo de bonne augure ? C’est ensuite un festival arty fou mais d’une grande maîtrise à tous les points de vue. Intelligent, érudit, intello, intriguant, passionnant, ce film dispose d’une intrigue de prime abord simplissime, une longue confrontation entre une jeune femme féministe et un esthète pervers macho. Qui aura le dessus, ou le dessous, dans cette perle érotico-intello fascinante ?

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Plus classique mais également bien tordu, La Proie de l’autostop, tourné sauf erreur en 1976 par Pasquale Festa Campanile, est un film italien tourné en Espagne et se passant soi-disant dans le sud des USA pas loin du Mexique. Franco Nero et Corinne Clery (à poil ou peu s’en faut la plupart du temps) y jouent un couple en vacances, ce qui ne les empêche pas de se déchirer à coups d’insultes et de récriminations. David Hess (qui aura joué quelques tarés mémorable dans sa carrière) est lui un auto-stoppeur que le couple embarque. Le gugusse est, il va de soi, un taré de première, à la fois braqueur en cavale et échappé d’un asile. Il fuit ses collègues, brime et humilie le couple, tue deux flics, veut que son otage écrive un livre sur lui, viole la femme mais ses jeux pervers ne vont pas forcément se conclure à son bénéfice. Road-movie et sorte de huis-clos sadique et brutal, il bénéficie d’une excellente interprétation qui compense largement un budget certainement serré. Disponible en zone 1, le film dans sa version VHS hexagonale dispose d’une vf médiocre mais d’une jaquette due au formidable Melki.

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Western italo-espagnol tardif, Scalps est réalisé en 1985 et sorti en K7 vidéo en 1986 (avec une Vf assez gratinée). Ressemblant à un spaghetti 70 de derrière les fagots, il est officiellement signé Werner Knox, en fait un pseudonyme de Bruno Mattei, également coscénariste. La réalisation est parfois également créditée Claudio Fragasso, en fait prolifique scénariste. Il s’agit d’un curieux western où des soldats sudistes, visiblement pour l’essentiel des « indigènes »  du côté d’Almeria, massacre les membres d’une famille indienne. La survivante, d’abord bafouée et humiliée, réussie à prendre la tangente mais se met à pister le groupe de soldats et va les trucider façon sauce ketchup. Ce western est d’autant plus étonnant que, réalisé par un spécialiste du bis et du Z en veux-tu en voilà, il est plutôt bien emballé, correctement joué et narre une vengeance sanglante (et même goresque) dont le personnage principal est une indienne, chose des plus rares dans l’histoire du western, quel que soit sa nationalité. Tourné dans la région d’Almeria, dans des coins désertiques qui, une quinzaine d’années auparavant, pullulaient d’équipes de tournages, il s’achève dans les décors encore en bon état d’un fort construit pour un autre western-spaghetti et qui sera plusieurs fois réutilisé. Toutes proportions gardées, ce film plutôt atypique et un peu sadique a le sérieux de Keoma, le discours d’Un Homme nommé Cheval, la sécheresse de Les Collines de la terreur.

Tonton Hellebé

 


« L’Attaque du fourgon blindé » de Bruce Beresford : braquage à l’australienne

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Après quelques aventures audiovisuelles au Nigéria et en Angleterre, l’australien Bruce Beresford retourne au pays et débute une carrière de cinéaste à l’aube de l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération qui va ruer dans les brancards. Nous sommes au début des années 70, et après une longue période quasi obscurantiste dans la société australienne, les empêcheurs de tourner en rond du continent donnent de la voie. Côté ciné, d’abord contraint à subir la censure, à se cantonner dans l’underground, voire à ne pas tourner, les artistes et créateurs de l’audiovisuel vont en quelques années, soutenus par un nouveau gouvernement fédéral qui pratique une politique culturelle agressive, créer l’une des plus intéressantes cinématographie du monde. Souvent satirique, polémiste et/ou foutraque, ce cinéma, généralement soucieux d’être indigène, va autant offrir des dizaines d’œuvres dans l’esprit série B et Bis qu’accoucher de fictions plus intellectuelles mais tout aussi particulières, reconnaissables et bientôt reconnues à l’international. Pratiquant les deux avant d’entamer une carrière étasunienne plus consensuelle, Beresford est considéré comme l’un des fers de lance de cette nouvelle vague des antipodes. Il passe au polar en 1978. L’attaque du fourgon blindé (Money Movers), dont Nicolas Boukhrief se souviendra pour Le Convoyeur, est un film sec, froid et brutal qui, allié à un scénario plus malin qu’il ne parait, doit être considéré comme l’un des sommets internationaux du film de braquage. D’une grande rigueur documentaire, il suit la préparation et au final le braquage d’une société de transports de fonds par plusieurs de ces membres. Dès le début du métrage, si l’on suit ces employés dans leurs préparatifs, l’on assiste également à l’enquête d’un agent d’assurance infiltré et soupçonneux, au quotidien de la gestion d’une telle entreprise à risques, à l’implication d’un clan du grand banditisme utilisant des éléments « jetables » pour ses coups… Un ensemble de personnages parfaitement campés, la plupart étant décrit comme des hommes durs, et qui vont le prouver. Même dans ses rares scènes intimistes, le film propose un montage sec, compensant le choix d’une majorité de plans fixes. L’ambiance est constamment tendue et si les scènes purement violentes sont rares durant presque une heure trente, c’est aussi pour proposer dans le final une séquence hallucinante durant laquelle le braquage vire au carnage. La structure générale et le défouloir concluant cette œuvre évoquent ainsi autant certains chambara que du Sam Peckinpah ou du John Flynn. Un polar exemplaire, qui ne fut distribué en France qu’en 1986 avant de connaître une modeste carrière vidéo.

Tonton Hellebé

 

MONEY MOVERS
Réalisation : Bruce Beresford
Scénario : Bruce Beresford d’après le roman de Devon Minchin
Photo : Donald McAlpine
Montage : William Anderson
Pays : Australie
Durée : 1 h 32
Sortie française : 14 mai 1986

 


« Les Lauriers de la gloire » de Hans Scheepmaker : sentiers perdus

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Après avoir été faire un tour dans l’au-delà et arpenter des sentiers, la gloriole militaire se voit tresser une couronne avec Les Lauriers de la gloire, un film de guerre des plus originaux, réalisé en 1986 par un certain Hans Scheepmaker. Largement illustrée via des productions majoritairement anglo-saxonnes, la guerre du Vietnam a, dans la réalité comme dans les fictions (nombreuses durant les eighties, voir Portés disparus en 1984, Platoon en 1986…), largement contribué à mettre en sourdine celle de Corée. Les Lauriers de la gloire est peut-être le seul film des années 80 à se situer durant ce conflit ultra-sanglant qui fut une conséquence directe du « partage du monde » après le second conflit mondial et une guerre majeure dans l’affrontement Est-Ouest. Scindée en deux par le 38e parallèle, la Corée devient communiste au Nord, pro-occidentale au Sud, l’une soutenue par la Russie Soviétique et la Chine, l’autre par l’oncle Sam et ses alliés. Lorsque les forces nord-coréennes envahissent le Sud, les Nations-Unis répliquent par l’envoi de contingents internationaux (surtout étasuniens). Parmi les pays représentés, la Hollande. Le film, production hollando-coréo-allemando-étasunienne tourné en Corée et auquel est associé la Cannon de ces chers Mémé et Yoyo, présente une de ces compagnies largement constituées de Hollandais.

Situé en 1951, le long-métrage débute relativement classiquement avec vingt minutes de présentation d’un groupe de soldats : rires, larmes, bitures, blagues à la con, baisage de prostituées… Se détache cependant de ce premier acte le personnage principal, le sergent Sye (Everett McGill dans un de ses meilleurs rôles), un vétéran ayant combattu les Allemands, puis parti combattre en Indonésie avant de se sentir « comme chez lui » dans le bourbier coréen. Étonnant mixe entre les personnages de Bruno Crémer dans La 317e section, de Tom Berenger dans Platoon, de Jack Palance dans Attack et de James Coburn dans Croix de fer, soit entre le fou de guerre et le révolté écœuré, Sye apparait à l’écran d’abord à poil, uniquement vêtu d’un ruban sur la queue et balançant des répliques cyniques et terminales à ses hommes. Suite au flingage involontaire d’une adolescente dans un village suspect, la compagnie s’installe sur le lieu-même de l’incident. Les hommes, plus traumatisés qu’ils ne paraissent, se prennent une cuite. L’ennemi les surprend. C’est le massacre.

Visiblement peu intéressé à présenter une scène de guerre anthologique, le réalisateur s’acquitte de 2-3 minutes d’explosions nocturnes avec des figurants et des cascadeurs courant dans tous les sens. C’est la suite qui sort nettement le film de l’ordinaire : Sye, plusieurs fois blessé, semble être le seul survivant du carnage. Il achève un de ces hommes brûlé vif et agonisant, tente vainement d’en sauver un autre dont les tripes sont sorties du ventre, et rampant, claudiquant, se retrouve le pied coincé sous un camion alors que des éléments arrières de l’armée chinoise circulent épisodiquement, pillant les cadavres, mettant hors d’état les véhicules, récupérant les armes. Coincé sous le camion, Sye survit dans le silence d’un hameau calciné où les rats commencent à festoyer. Il ne doit son salut qu’à ses réflexes de soldat aguerri et la rencontre de plusieurs personnages, dont le bref passage d’un étonnant soldat chinois qui, parlant anglais et ravit de trouver un interlocuteur, va dépanner le sergent avant de se jeter sur une grenade devant un Sye qui se demande comme nous ce qui se passe.

Multipliant les scènes décalées sans un instant ennuyer, Les Lauriers de la gloire se révèle jusqu’à son final une œuvre morbide, brutale, désenchantée, pessimiste et assez fascinante, tout à fait étonnante aujourd’hui comme à l’époque, celle d’un cinéma guerrier reaganien plutôt belliqueux auquel a largement participé la Cannon.

Tonton Hellebé


FIELD OF HONOR
Réalisation : Hans Sheepmaker & Dae-hie Kim
Scénario : Henk Bos & Dae-hie Kim
Photo : Hein Groot & Eung-hwi Heo
Montage : Victorine Habets
Pays : Etats-Unis, Pays-Bas, Corée du Sud
Durée : 1 h 30
Sortie : 23 avril 1986

 


Collection Bach Films : 1911-1946 – 35 ans de cinéma italien. Part 1 : le muet

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Il fut une époque, lointaine il est vrai, où le cinéma américain ne connaissait pas l’hégémonie qu’il a acquise depuis. Où les Européens étaient capables de créer des œuvres qui allaient influencer à tout jamais les cinéastes yankees et la cinématographie mondiale. Et ce n’est pas le grand D.W. Griffith qui prétendra le contraire, lui qui, en voyant en 1914 le Cabiria de Giovanni Pastrone, ses décors grandioses et ses mouvements de foule, se dit qu’il était possible de réaliser son rêve : une grande fresque où des histoires multiples se dérouleraient à l’Antiquité, à l’ère du Christ, à la Renaissance et à la période moderne, regroupées sous le titre d’Intolerance. Tout cela parce que les décors monumentaux du film italien avaient produit une forte impression sur l’Américain.

Bach Films, un éditeur dont on saluera une fois de plus la ténacité à dénicher des raretés faisant le bonheur des cinéphiles – et des autres curieux- , sort en DVD neuf films italiens échelonnés entre 1911 et 1946, dont justement Cabiria. Allons, Marty, installe-toi vite dans la DeLorean et remontons le temps d’un petit siècle, histoire de voir qui étaient les cinéastes de ces temps héroïques. Nom de Zeus !

Trois films muets sont présentés dans cette nouvelle collection : L’Inferno (1911, L’Enfer) de Francesco Bertolini, Giuseppe De Liguoro et Adolfo Padovan, Gli ultimi giorni di Pompei (1913, Les derniers jours de Pompéi) d’Eleuterio Rodolfi et le déjà nommé Cabiria (1914) de Pastrone. Les trois se revendiquent de la littérature. L’Enfer est une adaptation de la Divine comédie de Dante, dans laquelle le poète a droit à une visite guidée des Enfers menée par Virgile. Pompéi a dû ses lettres de noblesse au romancier britannique Edward Bulwer-Lytton. Quant à Cabiria, le film porte le sceau du grand poète Gabriele D’Annunzio, qui en signe les intertitres. Les spécialistes se disputent pour savoir si oui ou non Cabiria est adapté du Carthage en flammes d’Emilio Salgari (auteur d’une série de romans d’aventures dont le fameux Sandokan, transposé plusieurs fois au cinéma). Carmine Gallone tournera en 1960 l’adaptation officielle de Carthage en flammes. Plus sûrement, Cabiria s’inspire des récits historiques de Tite-Live.

l'enfer

D’une durée de 71 minutes (soit cinq bobines qui montrent 54 scènes), L’inferno est sans aucun doute le plus ancien long-métrage que l’on puisse voir. Produit par la Milano Films, il eut fort à faire avec la concurrence. Déjà ! En effet, cet Enfer-là fut pris de vitesse par une plus petite compagnie, Helios Films, qui sortit son propre Enfer, beaucoup plus court (une vingtaine de minutes), trois mois avant. On croyait perdu ce film réalisé par Giuseppe Berardi et Arturo Busnengo : il a été retrouvé au sein de la Filmothèque vaticane. Visible sur internet, ce film présente de curieuses similitudes avec celui de la Milano Films. Bien sûr, ils sont tous deux tirés de la même œuvre littéraire et se sont inspirés des gravures de Gustave Doré.

La version que nous livre Bach Films, celle de la Milano, est donc passionnante à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle présente, mais c’était déjà le cas avec le récit de Dante, un mélange d’iconographies chrétienne et antique. L’aimée de Dante, Béatrice, demande au poète latin Virgile d’escorter son amoureux dans les Enfers, de le guider et le sauver le cas échéant. Les Enfers, tels qu’ils sont décrits dans le film, sont ceux de la mythologie, avec le fleuve Achéron à franchir dans la barque de Charon, Cerbère le chien à trois têtes, le dieu Pluton, etc. Or, en montrant Béatrice, Pastrone insiste sur son aspect virginal et nimbe sa tête d’une auréole. Étonnement encore avec la présentation des âmes éplorées vivant dans ces lieux souterrains : leurs corps sont nus ce qui, pour l’époque, est un pari assez osé.

L'enfer tête coupée

Le récit suit la trame de la Divine comédie et Dante croise tour à tour les personnalités (Homère, Horace, Ovide, Lucain mais aussi Cléopâtre, Didon et Hélène de Troie), les âmes coupables qui passent devant le juge Minos, le cercle des gloutons, celui des avares… Il pénètre dans les marécages du Styx, voit les tombes de feu des hérétiques, le monstre Géryon, les suicidés transformés en arbres, les démons qui fouettent les damnés, les hypocrites portant des capes de plomb, les voleurs mordus par des serpents… On est émerveillé par l’inventivité dont font preuve les cinéastes de ces temps héroïques où tout est à inventer avec les moyens du bord. Certains trucages peuvent faire sourire (comme lorsque Dante et Virgile volent), d’autres sont carrément réussis, grâce sans doute à leur simplicité : les personnages placés au premier plan paraissent des géants. Et un homme sur fond noir, cagoulé de noir, tient sa tête dans la main. Et ça marche !

Chacun des cercles de l’Enfer parcouru par Dante et Virgile est différent du précédent et cette variété donne toute sa force au film. Les deux visiteurs font également la connaissance de quelques personnages (Francesca de Rimini et son amoureux Paulo, Pierre de Vigna ou Ugolin qui, avec ses enfants, meurt de faim dans un cachot) dont on retranscrit l’histoire. Le film passe ainsi de séquences tournées en studio (chaque fois qu’il raconte les raisons de la présence aux Enfers de tel ou tel personnage ou pour certains supplices) avec d’autres tournées dans la nature, que ce soit dans des paysages volcaniques ou dans une forêt. Avec ses diables et ses âmes en perdition, l’Enfer tel qu’il apparaît en 1911 aura une descendance : on en retrouve des éléments dans le Dante’s Inferno (1924) de Henry Otto, dans le Maciste all’inferno (1925, Maciste aux enfers) de Guido Brignone et le Dante’s Inferno (1935) de Harry Lachman.

Derniers jours

Tourné deux ans après, Les derniers jours de Pompéi est beaucoup plus statique. Réalisé par Eleuterio Rodolfi, ce film est attribué à tort à Mario Caserini (ne pas confondre avec Mario Camerini) qui avait commencé en 1913 sa propre version de la même histoire qu’il a délaissée, vu l’avancée de sa concurrente. Il se resservira de certaines séquences dans des péplums ultérieurs. Sur internet, Caserini est également crédité pour l’année 1914 d’un Nidia la cieca (Nidia l’aveugle). Or, ce personnage d’aveugle est l’un des principaux des Derniers jours de Pompéi. Quand les mystères nous dépassent, comme disait l’autre, feignons d’en être les organisateurs…

Malgré tous les ingrédients qui deviendront des classiques du péplum (le bain de la patricienne, les jeux du cirque, l’éruption volcanique), le film pèche peut-être par son manque de mise en scène : le bain en toge n’est pas très érotique, les jeux du cirque sont assez platement filmés. Reste l’éruption du Vésuve qui, elle, fait plutôt bonne impression. Mais on se prend à regretter qu’on ne nous ait pas proposé, conjointement à cette version de 1913, celle que Carmine Gallone et Amleto Palermi réaliseront en 1926 : si l’on en croit les images et les commentaires de ceux qui ont vu ce film (qui, d’ailleurs, a été présenté à l’Egyptian Theatre de Los Angeles il y a deux ans et qui fit grosse impression), il est largement supérieur à celui de Rodolfi.

Cabiria_Giovanni_Pastrone__1914

Et nous voici donc en présence de Cabiria. À travers l’histoire d’une enfant enlevée sur les côtes de Sicile par des pirates et vendue comme esclave à Carthage, Pastrone en profite pour mettre en scène quelques-uns des grands personnages de l’Antiquité latine. On croise en effet dans Cabiria Scipion l’Africain et Hannibal, Massinissa le roi numide, Hasdrubal et sa fille Sophonisbe, etc. Cette dernière est incarnée par Italia Almirante Manzini qui, grâce à ce film, devient l’une des grandes stars du cinéma italien, celles que l’on appelait les dive. Cabiria marque également la première apparition à l’écran du personnage de Maciste. Il est ici le serviteur noir d’un Romain et c’est à lui que l’on doit le sauvetage de Cabiria. Ce grand costaud qui fait jaillir ses muscles à la moindre occasion est interprété par Bartolomeo Pagano, un docker génois qui passa le reste de sa carrière à prêter sa corpulence à Maciste, parfois dans des aventures contemporaines de leur réalisation : on voit ainsi un Maciste chasseur alpin pendant la Première Guerre mondiale.

On peut comprendre la fascination de Griffith pour Cabiria : les décors des temples sont somptueux, on voit une éruption volcanique, une bataille navale, des foules en mouvement, une impressionnante montée d’un rempart avec des hommes sautant sur une base de boucliers, tendant eux-mêmes leurs boucliers au-dessus de leurs têtes afin que d’autres y grimpent dessus et ainsi de suite. En cette époque paléolithique du cinéma, Pastrone alterne plans d’ensemble et gros plans, donne du rythme grâce à sa direction d’acteurs, aux mouvements de la caméra et au montage. Il pose les jalons de ce qui va devenir les lieux communs du film antique : la reine orientale fatale – et Sophonisbe a les attraits physiques et la cruauté que l’on prêtera souvent par la suite à Cléopâtre -, le mélange de personnages historiques et d’inconnus qui, malgré eux, vont être mêlés à la grande Histoire… Un siècle après, le film n’a rien perdu de sa grandeur et se montre beaucoup plus cruel (voir par exemple la scène de sacrifice d’enfants au dieu Moloch) que bien des péplums ultérieurs. Nous sommes en 1914 et le cinéma est en train de devenir un art grâce à des films comme Cabiria.

Jean-Charles Lemeunier



Collection Bach Films : 1911-1946 – 35 ans de cinéma italien. Part 2 : Propagande et téléphones blancs

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scipion

Bach Films sort en DVD neuf films italiens échelonnés entre 1911 et 1946. Regardons de plus près ceux qui sont sortis entre 1937 et 1941.

Seul péplum tourné dans les années trente, Scipione l’africano (1937, Scipion l’Africain) de Carmine Gallone est, c’est connu, le parangon du film à vocation propagandiste. Il ne fait aucun doute : Scipion qui part en Afrique battre Carthage, c’est le Duce bien-aimé, Benito Mussolini qui, à cette même époque, est allé conquérir l’Éthiopie pour bâtir un empire italien. On sent bien cela dans le film : un grand homme, des troupes fidèles, le dévouement, la conquête, la grandeur, tout y est. Il y a pourtant un hic : c’est que Annibale Ninchi, qui incarne Scipion, a beaucoup moins de charisme que Camillo Pilotto, l’acteur qui joue Hannibal. Scipion n’est montré qu’à travers ses discours, ses décisions de stratège : il a véritablement une stature. Hannibal, lui, peut être tout à la fois cruel et faible, il doute, est beaucoup plus humain que son adversaire et, surtout, il avoue son amour pour l’Italie : il y fait la guerre depuis quinze ans et ce sont les chefs carthaginois qui le poussent à rentrer au pays parce que Scipion est parti les attaquer. Franchement, à choisir entre Scipion et Hannibal, la sympathie du spectateur n’hésite pas et penche pour le second.

On a reproché à Scipion l’Africain de ne retenir que les héros historiques et de sacrifier des personnages inventés qui auraient nourri le scénario. Jean Gili explique que c’était le choix d’Alessandro Blasetti, pressenti au départ. Il fut écarté du projet au profit de Gallone qui, lui, accentua l’aspect propagandiste de l’œuvre. C’est sans doute dommage. Le film ressemble à une version sérieuse, officielle, de Cabiria : les personnages historiques sont les mêmes – on retrouve encore Sophonisbe en reine fatale digne de Cléopâtre – sans la fantaisie qu’amenaient dans le film muet Cabiria, Fulvius Axilla et son esclave Maciste.

Non pas que Gallone démérite, au contraire : il donne au film un vrai souffle épique et la longue scène de la bataille, avec la charge des éléphants, est véritablement spectaculaire. Au plus fort du combat, Gallone ajoute un élément comique, presque tendre, avec ce joli éléphanteau qui charge au milieu de ses parents et qui est épargné par les soldats romains. Le film n’obtint pas le succès escompté. Aujourd’hui, il a atteint une dimension mythique et mérite largement qu’on s’y intéresse.

 

la couronne

Tourné en pleine période fasciste par Alessandro Blasetti, La corona di ferro (1941, La couronne de fer) a ceci de particulier que le film suit les extravagances anglo-hollywoodiennes de l’époque tout en s’en éloignant fortement. Je m’explique : il y a, dans La couronne de fer, des séquences entières qui rappellent quelques bons souvenirs. Le jeune homme (Massimo Girotti) élevé par des lions et qui vit en pagne au milieu d’eux, c’est bien sûr Tarzan ! Lorsqu’il retrouve la civilisation médiévale dont il a été écarté et que, voulant traverser un pont, il affronte un grand gaillard, c’est Robin des Bois poussant petit Jean dans la version Errol Flynn de 1938. Le souverain qui veut marier sa fille et reçoit des prétendants aux cadeaux magiques, c’est Le voleur de Bagdad, féérie de Michael Powell réalisée tout à la fois dans les studios britanniques et américains en 1940. Et pourtant, pourtant… La couronne de fer n’est pas que la version italienne de chefs-d’œuvres interdits de vision par la guerre. On trouve dans ces aventures d‘heroic fantasy, se déroulant dans un Moyen-Âge imaginaire où le merveilleux est fortement présent une cruauté et une charge érotique absentes des films hollywoodiens bridés par le Code Hays et dévolus au public familial. Ici, une femme peut être torturée seins nus, des massacres sont commis devant la caméra, des supplices montrés plein champ, le tout enrobé d’une naïveté un peu kitsch du meilleur effet. Ne nous focalisons pas sur les seules scènes de nudité pour évoquer la sensualité. Le personnage joué par Luisa Ferida, toujours harnachée dans son uniforme, dégage une puissance érotique très forte. Dans le bonus, Jean A. Gili, l’historien spécialiste du cinéma italien, rappelle qu’avec son mari Osvaldo Valenti (qui joue l’un des prétendants de la princesse), elle était une grande vedette. Farouche partisan des fascistes, le couple suivit la débâcle mussolinienne jusqu’à la République de Salo, décrite par Pasolini dans son dernier film. Luisa Ferida et Osvaldo Valenti furent fusillés par les partisans en 1945.

 

Teresa Venerdi

Année de sortie de La couronne de fer, 1941 est aussi celle de Teresa Venerdi (Mademoiselle Vendredi) de Vittorio De Sica. Le cinéma mussolinien ne distribue pas uniquement de la propagande sur grand écran. Un autre des grands courants est celui des telefoni bianchi, ainsi appelé à cause des téléphones blancs dont se servaient souvent les héros de ces comédies. Comédies qui, d’ailleurs, cherchaient à avoir le style et la légèreté de leurs homologues américaines. Nous sommes loin de Cabiria, le cinéma US a envahi la terre entière et beaucoup de pays, en ces temps de crispation politique (avec l’URSS) ou de guerre (l’Allemagne, l’Italie, la France occupée) chercheront à copier le style hollywoodien.

La force de De Sica, autant comme interprète que comme cinéaste, est qu’il reste profondément italien. La trame de Teresa Venerdi pourrait être tirée d’un Feydeau ou d’un Labiche : un médecin ruiné, avec des créanciers à sa porte, accepte un poste dans un pensionnat de jeunes filles et tombe amoureux de l’une d’entre elles. C’est bien sûr charmant mais beaucoup plus que cela. Il y a là dedans – et c’est aux acteurs et à l’écriture du film que l’on doit cette qualité – une forme de gravité derrière la superficialité et un réel bonheur de suivre les aventures de Teresa et de son docteur. Le mélange est subtil : certains personnages sont franchement comiques (Virgilio Riento, le domestique, ou Guglielmo Barnabo, le riche père de la promise du médecin), d’autres versent dans le ridicule (Irasema Dilian, la petite fille riche). D’autres atteignent de la grandeur quand ils ne pourraient être que caricaturaux : ainsi Anna Magnani, qui joue la maîtresse de De Sica, est parfaite. Quant à ce dernier, s’il connaît déjà à l’époque un grand succès comme acteur, entre autres dans les telefoni bianchi de Mario Camerini, il fait ici ses gammes en tant que cinéaste. Il a coréalisé un premier film en 1940 avec Giuseppe Amato (Roses écarlates), suivi la même année de Madeleine, zéro de conduite avec, déjà Irasema Dilian et Guglielmo Barnabo. On le reconnaîtra sans mal, ces gammes sont celles d’un virtuose et De Sica s’apprête à devenir, à l’issue de la guerre, l’un des plus brillants représentants du cinéma italien à travers un courant, le néo-réalisme, dont il est l’un des créateurs avec Roberto Rossellini et le scénariste Cesare Zavattini, grâce à des films tels que Les enfants nous regardent (1943), Sciuscia (1946), Le voleur de bicyclette (1948) ou Umberto D (1952).

Jean-Charles Lemeunier


Collection Bach Films : 1911-1946 – 35 ans de cinéma italien. Part 3 : le néoréalisme

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Le bandit

Bach Films sort en DVD neuf films italiens échelonnés entre 1911 et 1946. La guerre s’achève et les Italiens inventent le néo-réalisme. Trois films de la collection datent de 1946 et s’inscrivent dans ce courant artistique.

Commençons avec Il bandito (Le bandit) que signe Alberto Lattuada et que produit Dino De Laurentiis. La force des cinéastes italiens (et Lattuada n’y fait pas défaut) est de ne jamais se prendre au sérieux jusque dans les moments les plus tragiques. Le bandit s’ouvre sur un train de prisonniers, ceux qui, capturés par les Allemands à la fin du régime fasciste, ont été conduits en Allemagne. Au fur et à mesure que passent les wagons, la caméra filme les graffiti qui les ornent : « Viva USA », « Viva Italia », « À mort Hitler » et… « Cherche femme même usagée ». Parmi les prisonniers qui s’extirpent tant bien que mal du train (Lattuada montre que tous n’ont pas cette chance, certains ayant péri pendant le trajet), se trouve Amedeo Nazzari, grande vedette de l’époque, un des acteurs préférés du public dans les années quarante et, surtout, version italienne d’Errol Flynn.

Ce démarrage s’articule fortement sur les préceptes du néo-réalisme, avec un style quasi documentaire. Lattuada filme sans pathos la réalité du retour : tel ce prisonnier qui a épousé une Allemande en captivité et qui est déjà marié en Italie avec deux enfants. En suivant Nazzari de la gare au centre de Turin, la caméra montre les maisons détruites par les bombardements et les champs de ruines. Son ami Carlo (Carlo Campanini) raconte comment il a résisté aux SS pour sa fille Rosetta (Eliana Banducci). Laquelle se trouve sur le quai de la gare et pleure au récit de son père.

Puis, Nazzari suit une fille dans la rue, qui s’avère être une prostituée et… sa sœur qu’il croyait disparue sous les bombardements (Carla Del Poggio). Lattuada n’a pas peur de souligner les détails sordides : lorsque Nazzari pénètre dans l’immeuble dans lequel la prostituée s’est engouffrée, il croise un vieux qui, visiblement, monte la garde : le « portier » lui fait un clin d’œil et, du menton, l’invite à suivre son gibier. Citons encore cette séquence étonnante, très gonflée pour l’époque, dans laquelle les anciens combattants font la queue pour toucher une pension de guerre. Même si l’Italie a rejoint le camp des Alliés en 1943, on a réellement l’impression de voir un film de perdants, des gens dont le moral se situe au niveau des chaussettes. Nous sommes complètement immergés dans la réalité d’un drame humain, ce qui sera l’un des traits du néo-réalisme. Mais, avec Lattuada, on aurait tort de croire que le film va suivre une trajectoire rectiligne.

C’est finalement parce qu’il suit instinctivement le conseil inscrit sur le wagon, à propos de la recherche d’une femme, que Nazzari va quitter le documentaire néo-réaliste pour entrer dans une fiction policière à l’américaine. En retrouvant sa sœur, le héros va entrer de plain-pied dans ce qui va évacuer les thèmes dépressifs amenés par tout ce qui vient de se produire depuis le début.

Dans le bonus, Jean A. Gili, l’historien du cinéma italien, estime que Le bandit est une bonne clef d’ouverture au monde d’Alberto Lattuada, cinéaste éclectique. On l’a vu, le film dérive du néo-réalisme au polar. La séquence du braquage est tout à fait réussie de ce point de vue. Mais Lattuada l’éclectique ne craint pas de délaisser les rivages policiers pour aborder ceux du mélo. Quand les gangsters se retrouvent en pleine campagne et qu’ils abattent le chauffeur d’une voiture pour s’enfuir, nous sommes encore dans un récit à l’américaine. Pourtant, le ton change soudain et laisse le spectateur désarmé, parce qu’il ne s’y attendait pas, devant un pur mélo. Et c’est le cœur serré que l’on assiste aux dernières séquences du Bandit, comme si l’on regardait un film de Raffaello Matarazzo (dont Nazzari fut, au cours des années cinquante, l’un des interprètes favoris).

le témoin

Il testimone (1946, Le témoin) est le premier film de Pietro Germi, signé sous la supervision d’Alessandro Blasetti. On y note, dans cette histoire d’un homme suspecté de meurtre, accusé par un témoin qui ensuite se récuse, l’étonnante prestation de Ronaldo Lupi, tout à la fois inquiétant et attachant. Jusqu’au bout, on gardera des doutes sur la culpabilité de son personnage. Face à lui, la très belle Marina Berti reste figée dans son rôle de jeune fille obligée de faire glisser sur elle l’adversité pour mieux pouvoir la vaincre. Si son personnage ne sourit jamais (et d’ailleurs, c’est le témoignage à propos d’« une fille souriante » qui pousse Lupi à rencontrer Berti), Marina Berti sait montrer par le regard, l’attitude, diverses émotions, son désarroi, son inquiétude, sa peur et son amour.

Plus connu pour ses comédies grinçantes, telles Divorzio all’italiana (1961, Divorce à l’italienne), Sedotta e abbandonata (1964, Séduite et abandonnée) ou Signore e signori (1966, Ces messieurs-dames, Palme d’or à Cannes avec Un homme et une femme de Lelouch), Germi se rappelle à notre bon souvenir avec ce premier film très intéressant, appartenant au courant néo-réaliste. Le témoin se rapproche également du cinéma français du Front populaire : c’est un cinéma d’arrière-cours et de gens simples qui se rencontrent et s’aiment, de copains qui viennent faire de la musique et boire du vin quand tout autour d’eux respire la crise, de couple qui ne demande qu’à vivre sa passion mais qui en est empêché par un destin plus fort qu’eux. Qui prend ici la forme de l’appareil judiciaire.

Mais le ressort principal du film repose surtout sur un problème de conscience. Deux des personnages, Lupi et Ernesto Almirante, formidable petit vieux qui doute de ce qu’il a réellement vu, ont des problèmes avec ce qu’ils ont fait. À l’instar de l’Italie qui s’est abimée dans le mauvais camp en suivant le côté obscur du Duce, Ronaldo Lupi a un comportement de coupable (alors qu’on ne sait pas s’il l’est réellement) et Ernesto Almirante qui, dans un premier temps, a accusé Lupi, ne sait plus quoi faire pour être agréable et faire oublier son erreur. C’est une qualité qui frappe dans le cinéma italien (et l’on pense à la grande époque des années soixante et soixante-dix), avec des scénarios complètement inscrits dans l’histoire contemporaine du pays.

La proie du désir

Au générique de Desiderio (1946, La proie du désir), figurent trois noms importants : Roberto Rossellini, Giuseppe De Santis et Marcello Pagliero. Co-écrit par De Santis qui, apparemment, a également dirigé certaines séquences, le film est commencé par Rossellini, interrompu pour cause de guerre et achevé par Pagliero. On peut s’amuser à repérer qui a amené quoi dans cette histoire de Paola, une prostituée qui, tombée amoureuse d’un brave horticulteur, part se réfugier dans son village natal.

De Rossellini, on reconnaît la qualité néo-réaliste de la description de la ville et de la campagne, des amours difficiles entre êtres simples que les conventions freinent et abiment. De Santis a-t-il filmé ces séduisantes séquences où les deux sœurs interprétées par Elli Parvo, qui a des airs de notre Ginette Leclerc, et Roswita Schmidt, se prélassent en petite tenue dans la chaleur de la journée ? Les plans de ces cuisses offertes au regard valent bien celles de la Mangano dans Riso amaro (1949, Riz amer), la plus célèbre réalisation de De Santis. Reconnaissons qu’un réel érotisme traverse Desiderio. Il passe non seulement par le personnage très sexué d’Elli Parvo, que l’on peut admirer en combinaison transparente et même torse nu, mais aussi par ceux de la sœur et de l’amie (Jucci Kellerman).

Est-ce en souvenir d’un grand film de Mario Camerini, à l’époque de ces « téléphones blancs » que l’on tournait pendant la période mussolinienne, mais ici, les hommes, quels mufles ! Des vieux qui s’affichent avec de jeunes femmes au salaud de la campagne qui a envoyé l’héroïne sur le trottoir en passant par le beau-frère (Massimo Girotti) qui se prend de désir pour Paola et délaisse sa propre femme. Le désir, qui donne son titre original au film, est bien la clef de tout ce petit monde. Seul Carlo Ninchi, l’horticulteur amoureux, est mu par l’amour alors que tous les autres mâles sont en chasse.

Et Pagliero, demanderez-vous ? Si on reconnaît les influences de Rossellini et de De Santis, quelle part est la sienne ? Acteur dans le cinéma français de l’immédiat après-guerre, il est apparu dans un curieux film de Jean Delannoy, Les jeux sont faits (1947). Dans ce scénario de Jean-Paul Sartre, les morts côtoyaient les vivants. L’existentialisme, philosophie à la mode au lendemain du conflit mondial, est bien au cœur des souffrances de Paola. Elle se plaint du vide de sa vie, de sa prédestination à céder aux hommes, et son parcours suit une boucle qui n’aurait pas déplu à l’auteur de La nausée. Certes, Desiderio est antérieur d’un an mais le propos existentialiste est dans l’air du temps.

Jean-Charles Lemeunier

Collection Les grands classiques du cinéma italien édité par Bach Films en DVD le 12 novembre 2014.

le bandit
le témoin


Ze Craignos Monsters : Le remake était presque parfait

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Ceux qui connaissent Jean-Pierre Putters par Mad ou qui ont découvert la saga des Craignos Monsters dès 1991 savent à quoi s’en tenir. Les autres devraient se précipiter sur ce qui reste un savant dosage entre l’érudition et la déconnade concernant une thématique que l’on a du mal à dénicher dans les rayons des grandes librairies : le cinéma de monstres, principalement américain mais aussi japonais ou italo-espagnol.

Car, après un premier volume (Ze Craignos Monsters) courageusement édité par Vent d’Ouest, JPP en a commis un second (Ze Craignos Monsters, le retour) en 1995, puis un troisième (Ze Craignos Monsters, le re-retour) en 1998, toujours chez le même éditeur. Voici qu’enfin paraît cette année, depuis le 26 novembre exactement, Ze Craignos Monsters : Le retour du fils de la vengeance. Devinez chez qui ? Vent d’Ouest, naturellement.

C’était quand même une sacrée bonne époque où les cinéphiles trouvaient quelques pépites à se mettre sous la dent. Où Stéphane Bourgoin publiait une monographie de Roger Corman (1983) et de Richard Fleischer (1986) chez Edilig et où, avec son complice Pascal Mérigeau, il s’attaquait à la série B pour le même éditeur (1983). Époque aussi où Jean-Pierre Jackson consacrait à ses passions deux livres remarquables : le premier sur Russ Meyer chez PAC (1982), le second sur le serial américain (La suite au prochain épisode chez Yellow Now en 1994). Et où, donc, Jean-Pierre Putters nous faisait découvrir ces films fauchés mais ô combien gratifiants avec ces monstres navrants, rigolos et réellement attachants.

Alors, ces Craignos Monsters, kézaco ? Une série d’articles un peu en vrac, avec des pages consacrés à des réalisateurs entrecoupées de pages vertes où des films la plupart du temps inconnus au bataillon sont résumés… assez vertement. La force de Jean-Pierre Putters est de ne jamais se prendre au sérieux, tout en livrant un boulot qui, lui, l’est véritablement. Notre gaillard a dû dévorer les Midi-Minuit Fantastique et les magazines américains, les Famous Monsters of Filmland de Forrest J. Ackerman, les Filmfax et autres Femmes Fatales, toute cette littérature dont les lecteurs français étaient privés jusqu’à présent (moins évidemment depuis l’arrivée d’internet). Et nous fait profiter de son immense culture en rigolant.

Rigoler est certes le maître mot de ces Craignos Monsters mais apprendre en est un autre. Bon, vous allez me dire, en trois volumes, Putters n’avait-il pas fait le tour de tous ces nanars ? Certes, le filon commençait à se tarir et ce quatrième volume, au titre mérité de Retour du fils de la vengeance, semble s’adresser à un public plus vaste, moins aficionado. Ouvrir sur les grands singes et King Kong ne va sans doute pas donner des frissons à qui s’intéresse aux raretés joyeuses découvertes dans les trois précédents opus. Alors, le Jean-Pierre creuse plus profondément le sillon forcément abreuvé de sang impur et convoque, par exemple, Stark Mad, un film de 1929 (soit quatre avant l’arrivée de Kong) dans lequel des explorateurs à la recherche d’un temple maya vont se casser le nez sur un singe géant.

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Konga (1961) de John Lemont avec Claire Gordon

Mais ne nous emballons pas et replongeons un temps dans notre bibliothèque. Attendez, ah, voilà, j’ai remis la main dessus. Le Craignos Monsters number one s’ouvrait déjà lui aussi sur des affiches de Tarantula, King Kong et Godzilla. Sa mise en pages ressemblait déjà à celle d’une revue, sans réelle continuité. On avait une série de doubles pages consacrées à la bio d’un réalisateur (qui se suivaient quand même dans l’ordre alphabétique). Le tout entrecoupé de « Ils sont dingues… Ils font peur… Ils sont moches… Ils font rire », petites notules croquignolesques sur des films appétissants. Quant aux cinéastes qui avaient droit à une étude en règle, la liste de leurs noms faisait plaisir à lire : Al Adamson, Jack Arnold, William Beaudine, Edward Bernds, Paul Blaisdell, Larry Buchanan, Edward L. Cahn, Richard E. Cunha, René Cardona, etc., jusqu’à Edward D. Wood Jr et Jean Yarbrough. Comme un bon remake, Craignos Monsters : Le retour du fils de la vengeance bénéficie de plus de moyens : le livre contient plus de pages et est davantage illustré. On y retrouve les personnages qu’on a aimés dans les précédents épisodes : Jack Arnold, Edward Cahn, Bert I. Gordon sont toujours là, avec un texte identique. D’autres sont plus étoffés (Jess Franco, Roger Corman). Est-ce une impression ? Malgré tout, on sent JPP moins à l’aise avec la filmo à rallonge de Franco qu’il ne l’est avec les bons vieux Fred Sears, Kurt Neumann ou Reginald LeBorg.

Comme dans tout bon remake, les thèmes sont repris : ainsi les singes géants, qui apparaissaient déjà dans Le re-retour. Depuis, bien sûr, est sorti le King Kong de Peter Jackson qui trouve une belle place dans La vengeance du retour du fils. Ou plutôt Le fils du retour de la vengeance. Bref, dans Le retour du fils de la vengeance. Les parenthèses existent d’ailleurs toujours dans cet ouvrage, avec les fiches du Dr Jabuse et des chapitres uniquement illustrés : Ô Momie Blues, les morts-vivants, le Japon, le yéti, les robots… Le mélange reste le grand principe de la série des Craignos Monsters, comme si chaque bouquin était une version cartonnée et beaucoup plus épaisse d’un magazine (Mad par exemple), passant en quelque sorte du coq cornu à l’âne ailé (pour rester dans les monsters plutôt craignos).

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The Deadly Mantis (1957, La chose surgie des ténèbres) de Nathan Juran, avec Alix Talton

Agréable à feuilleter, Le retour, etc. découle donc tout à la fois d’un savoir-faire certain et d’une certaine vulgarisation d’un domaine somme toute pointu. C’est entendu, chacun des précédents opus étaient génialissimes et roboratifs. Pour le quatrième, Putters a davantage opté pour la forme que pour le fond, reprenant on l’a vu beaucoup du contenu des précédents. Dommage qu’il n’ait pas poursuivi son alphabet des personnalités. Arrêtons là les critiques : le boulot de JPP est suffisamment conséquent pour qu’on en dise du bien, en glissant qu’il sera bon de l’avoir dans sa bibliothèque.

Jean-Charles Lemeunier

Ze Craignos Monsters : Le retour du fils de la vengeance, paru chez Vent d’Ouest le 26 novembre 2014.


« Panique » de Jean-Claude Lord et « Nuclear Conspiracy » de Rainer Erler : les mains vertes de rage

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Connu de vétérans du cinéma « de genre » pour
Terreur à l’hôpital central et Mindfield, l’éclectique réalisateur canadien Jean-Claude Lord (il a également signé de nombreux documentaires et productions TV) se fend en 1977 de Panique, un thriller québécois « écolo » des plus engagés. Le Lord avait déjà réalisé des films polémiques, notamment avec Bingo (1974), qui traite de la contestation post 68 et du FLQ en s’inspirant des enlèvements felquistes de 1970 qui se conclurent par l’assassinat du ministre provincial du travail, la provisoire application de mesure de guerre, sans parler de l’arrestation de militants indépendantistes. L’homme avait également signé Parlez-nous d’amour, une diatribe féroce sur l’aliénation des masses via les émissions de variétés, charge à la Network qui flingue aussi le public de ces émissions. Panique, lui, est l’un des premiers films à dénoncer vertement la pollution industrielle. Le ton et la forme y sont ceux du docufiction et préfigurent des films comme Bataille à Seattle et Contagion tout en précédant Le Syndrome Chinois, et fait nommément référence aux catastrophes de Minamata et Seveso, célèbres en leur temps, notamment du fait de leur impact médiatique. Efficace, le film commence par de toujours impressionnantes images de déforestation massive puis s’en prend à la JIT, une multinationale fictive faisant dans le papier. Y est dépeinte une importante société en pleine collusion avec des politiques (dont le premier ministre canadien) pour implanter une usine près du Saint-Laurent afin d’y fabriquer un nouveau papier de qualité. Mais les rejets toxiques (plomb, mercure, cobalt…) et le je-m’en-foutisme concernant les normes de sécurité provoquent une pollution qui va faire une hécatombe d’animaux (poissons, chiens…) puis tuer des dizaines d’enfants, de femmes enceintes… Une catastrophe et un scandale que vont tenter de camoufler puis d’enfumer des scientifiques vendus, des faiseurs d’opinions, des politiciens. Les effets « émeutes-panique », dont la distribution d’eau au cul de camions, font volontairement penser aux images de crises humanitaires et de famines en Afrique. On entend des phrases cyniques du genre « et alors, le carnaval de Rio fait 120 morts par an » et « toutes les compagnies font le compte des morts en même temps que leur bilan comptable. » Cette fiction des plus réalistes et rentre-dedans est, ça alors, également une œuvre rarissime.

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Pour rester dans le film militant, voici dans la foulée Nuclear Conspiracy, de 1985 ou 1986, signé Rainer Erler. Cette production allemande tournée en partie en France, à New York, Singapour et en Australie est un héritier des drames et/ou thrillers écolos engagés, type Le Syndrome Chinois (1979) et Le Mystère Silkwood (1983). C’est ici véritablement la rencontre du film d’aventures (rythme, nombreux pays visités, photojournalisme…) et du docufiction. Très documenté et frontalement antinucléaire, le film (également titré Récit d’un voyage dans un avenir éblouissant) emporte l’adhésion malgré quelques naïvetés et clichés. Cette chasse au cargo transporteur de déchets nucléaires inutilisables est rendu attachante du fait que le personnage principal est une jeune mère de famille qui, contre vent et marées, pressions et menaces de mort, piste tel un détective le navire poubelle dans lequel serait retenu ou où aurait été tué son mari. Elle croise hommes et femmes de mains, sociétés écrans, marins irradiés, journalistes plus ou moins concernés… Accompagnée de sa fille et d’un photojournaliste, elle sillonne le monde, le film lâchant chiffres et données aussi clairement qu’un documentaire. Jusqu’au final dans le désert australien, où sont abandonnés des containers de barres de déchets résiduels radioactif qui, stupéfaction, sont vides, puisque le contenu a été volé ou vendu à x ou y ayant qui sait, de mauvaises intentions. Visuellement, ce final est assez refroidissant. Erler, le réalisateur, inconnu en France, l’est beaucoup moins en Allemagne (notamment) : producteur, scénariste, réalisateur de documentaires et de docufictions, souvent porté sur les maux de nos sociétés, l’environnement, la science. Pour faire vite, il est un peu le Jean-Claude Lord d’outre-Rhin, bien qu’habitant depuis longtemps en Australie.

Tonton Hellebé

PANIQUE
Réalisation : Jean-Claude Lord
Scénario : Jean-Claude Lord & Jean Salvy
Photo : François Protat
Montage : Jean-Claude Lord
Musique : Pierre Brault
Pays : Canada
Durée : 1 h 37
Sortie au Canada: 16 septembre 1977

NEWS – BERICHT ÜBER EINE REISE IN EINE STRAHLENDE ZUKUNFT

Réalisation : Rainer Erler
Scénario : Rainer Erler
Photo : Wolfgang Grasshoff
Montage : Peter Przygodda
Musique : Eugen Thomass
Pays : Allemagne, Autriche, Australie
Durée : 2 heures
Sortie en Allemagne: 29 septembre 1988

 


« Sinaï Commando » de Raphael Nussbaum et « Bim Stars » de Menahem Golan : guerre psychotronique

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Voulez-vous de la war avec moi, ce soir ? Bon, d’accord. Nous voici avec entre les mains puis dans le magnétoscope (puisqu’autrement totalement inédit) un film de guerre qui porte bien son titre, Sinaï Commando. Il se déroule dans le Sud du Sinaï et suit la mission d’un commando israélien chargé d’aller faire péter un radar égyptien, ce qui permettrait à l’aviation israélienne de minimiser ses pertes because que ça va boum-boumer de partout vu que nous sommes à l’aube de la Guerre des six jours. Tourné par Raphael Nussbaum et sorti en 1968 (du moins dans son pays d’origine), soit environ un an après la confrontation susdite, cette production israélienne de propagande est tout à la gloire de l’armée et tout particulièrement de ces hommes ayant permis ce haut fait d’armes, cette destruction précitée. Le début et la fin du film valent bien les œuvres soviétiques ou chinoises bourreuses de mou des années 60-70. Autrement, la chose est correctement emballée (à noter une BO limite atroce) et nous permet d’assister à un bon film de commando de derrière les fagots façon Les Canons de Navarone, sorti en 1961. A noter que le chef du groupe est joué par l’acteur américain Robert Fuller, vu dans pleins de séries TV US et quelques longs-métrages tel que Le Retour des sept, en 1966. Tout cela ne casse pas trois pattes à un canard mais son origine, sa nature, son objectif et sa rareté font de ce Sinaï Commando un « truc » qui a bien le droit de cité. Après tout, il existe un bon paquet d’articles sur les films reconstituant l’opération d’Entebbe comme il en existe sur Delta Force, autres productions sionistes.

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A propos de l’Etat hébreu, l’un de ses citoyens est bien connu de tous les cinéphiles et cinéphages, le regretté Menahem Golan. En 1979, celui-ci, à l’aube de devenir l’un des plus importants producteurs des années 80, rachète une petite société avec son cousin Yoram Globus, la Cannon Group. Durant une bonne dizaine d’années leur puissance de feu sera redoutable, ce dont ont douté un chouia ceux ayant vu Bim Stars en 1980, l’une des premières productions Cannon, réalisé par Golan et distribué en France par un autre vendeur de tapis, Samuel Hadida, via sa Metropolitan Filmexport créée en 1978, label garantissant alors de visionner le contraire d’un chef-d’œuvre mais qui deviendra incontournable à partir des années 90. Bim Stars, c’est le Chicago des eighties : c’est clinquant, ringard, mauvais, nul. Mais Bim Stars, lui, est amusant. Largement inspiré par le mythe de Faust et plagiant allégrement le Phantom of the Paradise de mister De Palma de 1976, Bim Stars est un musical censé se dérouler dans le futur, en 1994. Les tenues, coupes de cheveux, décors, véhicules censés incarner ce futur ont dû, dès la sortie de cette chose, faire rire au moins autant que Sean Connery dans l’impayable Zardoz. Les acteurs sont mauvais, surjouent ou sont aussi expressifs que l’endive dans mon assiette ce midi. Côté zizique, c’est majoritairement du disco-rock, ou si vous préférez, du hair-métal vaguement funky, ou si vous préférez du glam-rock décérébré. Nous sommes là dans la catégorie du film psychotronique, une garantie de discussions enflammées autour de quelques verres ou l’assurance de planquer dans le placard à balais votre blues prolétaire durant 1h20. Oui, 80 mn seulement. Il parait que le film a été charcuté. La version originale est donc assurément un chef-d’œuvre, ce dont était certainement persuadé l’acteur Joss Ackland, qui campe brièvement le meneur d’une communauté babacool refusant le diktat du Bim, l’Ubik du film. C’est probablement son rôle le plus mauv… le plus drôle. Quant à la jeunette Catherine Mary Stewart, ici chanteuse pervertie, l’amateur la reverra peu après dans des films comme Les Faucons de la nuit, Starfighter et Annihilator. Sauvée du démon, quoi.

Tonton Hellebé

Bande-annonce de Bim Stars

KOMMANDOS SINAI

Réalisation : Raphaël Nussbaum
Scénario : Jack Jacobs & Raphaël Nussbaum
Photo : Benno Belenbaum & Ya’ ackov Kallach
Montage : Ursula Möhrle & Erika Shtegman
Musique : Rolf Bauer, Ron Etzel, Horst A. Hass
Pays : Israël
Durée : 1 h 45
Sortie pays d’origine : mai 1968

THE APPLE

Réalisation : Menahem Golan
Scénario : Menahem Golan, Coby Recht, Iris Recht
Photo : David Gurfinkel
Montage : Alain Jakubowicz
Musique : Coby Recht
Pays : Etats-Unis
Durée : 1 h 30
Sortie pays d’origine : 21 novembre 1980

 


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