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« Le lit conjugal » de Marco Ferreri : Ciel, mon mariage !

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En ressortant en salles, ce 22 décembre, L’ape regina (1963, Le lit conjugal), Tamasa replace sur le devant de la scène un cinéaste italien majeur et malheureusement quelque peu oublié de nos jours : Marco Ferreri. On associe certes son nom au tremblement de terre que suscita sa Grande bouffe en 1973, critique acerbe de notre société de consommation qui horrifia les uns quand les autres applaudissaient à tout rompre. Mais qui se souvient aujourd’hui de ce Lit conjugal qui, après un sketch dans le film Les femmes accusent, marquait le retour au pays de Ferreri. Souvenons-nous que c’est au cours de sa parenthèse espagnole, entre 1959 et 1961, qu’il signa ses premiers films en tant que réalisateur.

Donc, en 1963, Ferreri est de retour en Italie et il a appris de son scénariste espagnol, Rafael Azcona, le sens de la satire. Azcona se retrouve d’ailleurs au générique du Lit conjugal, où il partage les crédits du scénario avec Ferreri lui-même mais aussi Diego Fabbri, Pasquale Festa Campanile et Massimo Franciosa. Autant dire la fine fleur du métier !

Que conte ce Lit conjugal, dont le titre original, L’ape regina, peut se traduire par « La reine des abeilles », en sachant que le personnage incarnée par Marina Vlady se nomme Regina ? L’utilisation du mâle à des fins de fécondation. On sait que la comédie italienne a toujours épinglé avec talent les travers de ses contemporains. Chez Ferreri, c’est la société qui en prend un coup et Ugo Tognazzi dans le rôle du mâle reproducteur est parfait.

Quand le film débute, Alfonso (Tognazzi) est, comme la plupart des Italiens représentés au cinéma, sûr de ses talents de séducteur. Mais il doit se ranger des voitures, si l’on peut dire — il est concessionnaire automobile — car il doit bientôt épouser Regina. Et cette Regina, qui l’attire fortement, est vierge. Elle joue donc d’abord la prude qui excite son ami sans rien lui céder. Puis, une fois le mariage accompli, se met à l’épuiser pour arriver à ses fins : la maternité.

Chemin faisant, Ferreri écorne les sacro-saintes institutions italiennes que sont la famille, le mariage et la religion. Car Regina entraîne le pauvre Alfonso dans une famille encombrante où l’on prie autant qu’on se mêle des affaires des autres. Au cours d’une séquence amusante qui en dit long sur Ferreri lui-même, Regina amène Alfonso dans une église pour prier sur la sépulture de Sainte Léa, dont on voit le corps embaumé. « C’est une femme ?, s’étonne Alfonso. Pourtant, elle porte une barbe. » Et Regina lui explique que la pauvre Léa s’est retrouvée menacée de viol par plusieurs hommes. Par miracle, une barbe a poussé pour les faire fuir. Rappelons-nous que, l’année suivante, Ferreri réalisera Le mari de la femme à barbe, avec Annie Girardot et, à nouveau, Ugo Tognazzi — mais le film, malgré son titre, n’a rien à voir avec l’histoire de cette sainte. Quoi qu’il en soit, cette Léa est devenue, d’après Regina, « la sainte patronne des jeunes filles ». C’est dire le regard narquois que pose Ferreri sur la virginité. D’autant que, dans les séquences qui suivent le mariage, on comprend que Regina est devenue très désireuse de sexe… et, surtout, d’enfantement.

À n’en pas douter, le lit conjugal est un champ de bataille dont la femme, qu’elle se refuse ou qu’elle se livre avec ardeur, est la souveraine. Ferreri n’a-t-il pas prétendu, dans un film ultérieur, que le futur était femme ? Pour en rajouter dans la satire féroce de l’hypocrisie, il filme un curé en train de bénir ce mobilier.

On a souvent dit, à propos de nombreux cinéastes, qu’ils portaient sur leurs semblables un regard d’entomologiste. C’est flagrant ici avec Le lit conjugal : Tognazzi est pris au piège de ses désirs et Ferreri filme les mésaventures de son héros sans la moindre pitié. Il le regarde s’enferrer dans le piège du mariage sans lui tendre une main secourable, si ce n’est peut-être par le personnage du meilleur ami d’Alfonso, joué par Riccardo Fellini (le frère de Federico). Ce dernier est le seul à vouloir aider son copain de bringue, sans que cela ne change quoi que ce soit.

Le lit conjugal n’apporte pas, il faut le reconnaître, le même genre de rires qui fleurissent avec les grandes comédies italiennes de Dino Risi ou Mario Monicelli. Le propos est ici plus grinçant et caustique qu’amusant, provocateur certainement, sans doute plus proche du travail d’un Pietro Germi (voir son Divorce à l’italienne). Ce Lit, qui saborde le mariage, fut d’ailleurs bloqué par la censure et Ferreri eut maille à partir avec la justice.

Cette nouvelle sortie du Lit conjugal nous met l’eau à la bouche. Et nous donne envie de redécouvrir la filmographie de Marco Ferreri, et plus encore ses premiers films italiens, de l’épisode qu’il tourna pour le film à sketches Controsesso au Mari de la femme à barbe (tous deux en 1964), de Break-up (1965) au Harem (1967) et de La semence de l’homme (1969) à Dillinger est mort (1969) et à L’audience (1971). Bonne nouvelle : Tamasa sortira Le mari de la femme à barbe le 19 janvier prochain.

Jean-Charles Lemeunier

Le lit conjugal
Année : 1963
Origine : Italie
Titre original : L’ape regina devenu, après les impératifs de la censure, Una storia moderna : l’ape regina
Réal. : Marco Ferreri
Scén. : Rafael Azcona, Marco Ferreri, Diego Fabbri, Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa d’après une idée de Goffredo Parise
Photo : Ennio Guarnieri
Musique : Teo Usuelli
Montage : Lionello Massobrio
Durée : 90 min
Avec Ugo Tognazzi, Marina Vlady, Walter Giller, Riccardo Fellini, Igi Polidoro…

Sortie en salles par Tamasa le 22 décembre 2021, en version restaurée 4K.


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