Entre Je suis avec toi (1943, dans lequel une femme se fait passer pour son propre sosie auprès de son mari infidèle qui devient son amant) et Non coupable (1947, l’histoire d’un médecin qui maquille son crime en accident), Henri Decoin (qui signe alors Henry) tourne La fille du diable. Restauré, le film est à l’affiche du festival Lumière, à Lyon, qui se déroule jusqu’au 17 octobre.
Ici, c’est un gangster (Pierre Fresnay) qui, fuyant la police, prend l’identité d’un homme mort dans un accident et revient dans le village de ce dernier. Là encore, pour la troisième fois consécutive, Decoin filme des doubles. Et rappelons qu’en 1942, il a déjà exploré le thème avec Le Bienfaiteur dans lequel Raimu, comme il l’avait déjà fait en 1938 dans L’étrange Monsieur Victor de Grémillon, est tout à la fois un homme respectable le jour qui se transforme en dangereux chef de bande la nuit venue.

En 1946, on sort d’une période trouble où l’on ne sait jamais à qui on a affaire et où le voisin peut être résistant ou délateur sans que personne n’en sache rien. Decoin se joue de ces faux-semblants et reprend le thème du gangster bienfaiteur. Mais dans ce scénario quelque peu convenu qu’il co-écrit avec Alex Joffé et Marc-Gilbert Sauvageon (lequel signe quelques dialogues très amusants, notamment avec le curé), un personnage tire admirablement son épingle du jeu. Ce n’est pas tant Pierre Fresnay que Fernand Ledoux, dans le rôle du médecin qui sauve la vie du bandit tout en sachant pertinemment qui il est. Ledoux est génial dans le double sens et il est capable de contraindre Fresnay tout en prenant un air angélique.
On a parfois rapproché le film du Corbeau de Clouzot, pas seulement grâce à Pierre Fresnay qui joue dans les deux mais parce que les deux histoires prennent pour décor une province faite de dissimulations et de sournoiseries. Où les sourires de façade ont du mal à cacher la haine et les coups bas. Seule une bande de jeunes marginaux, dans La fille du diable, se proclame à l’abri de l’hypocrisie.

Et c’est là où, malheureusement, le bât blesse. L’histoire s’affaiblit avec le personnage joué assez faussement, et avec un curieux accent, par Andrée Clément — qui était l’élève de Fernand Ledoux. Malgré tout, cette Fille du diable se suit sans déplaisir, même si on pouvait en espérer plus.
Enfin, signalons au début du film, une silhouette de journaliste qui écrit sous la mitraille : il ressemble fortement à Daniel Gélin mais le générique ne mentionne pas son nom et, sur la fiche wikipédia de l’acteur, La fille du diable est mentionnée avec cette parenthèse sibylline : à confirmer.
Jean-Charles Lemeunier