Décidément, John Ford, le dramaturge élisabéthain (pas le cinéaste américain), remportait du succès en Italie. Du moins, sa pièce la plus connue, Dommage qu’elle soit une putain (écrite en 1625), et ce n’est pas la sortie récente, dans un très beau coffret DVD-Blu-ray — mais c’est une habitude chez Le Chat qui fume — d’Amour et mort dans le jardin des dieux qui me contredira.
Les Italiens assez grands pour assister, en 1961, à la version théâtrale de Dommage qu’elle soit une putain, mise en scène par Luchino Visconti avec Alain Delon et Romy Schneider, ont dû en garder un grand souvenir. C’est que cette histoire d’amour insensé entre un frère et une sœur est plus que troublante. Dix ans plus tard, Giuseppe Patroni Griffi réunit sur grand écran Fabio Testi et Charlotte Rampling pour Addio fratello crudele, sorti en français sous le titre de la pièce. Tout juste un an après, Sauro Scavolini récidive avec Amore e morte nel giardino degli dei (1972). Donc, en français, Amour et mort dans le jardin des dieux. Un film poétique qui, sans le citer, reprend les éléments du drame de John Ford.
Le film débute sur le corps d’une femme inanimée, nue dans sa baignoire. Nous allons aussi croiser un ornithologue (Franz von Treuberg) qui, à l’écoute des oiseaux, va découvrir une bande magnétique grâce à laquelle lui-même et le spectateur comprendront ce qui s’est passé dans cette belle et vaste demeure.
On reste intrigué par ce giallo intello assez long à démarrer mais aux images captivantes. Nous avons là une jolie femme et son mari (Erika Blanc et Rosario Borelli). Un frère dont l’amour pour sa sœur paraît incestueux (Peter Lee Lawrence). L’ornithologue et un paysan/homme à tout faire suspect. Une copine (Orchidea De Santis) et un copain psychanalyste (Ezio Marano). Des vêtements très seventies. Des meurtres sanglants et des plans surréalistes, tel ce chien dévorant les restes d’un cadavre au fond d’une piscine désaffectée.
Peut-on vraiment mener jusqu’au bout le parallèle avec Ford ? Ici, la sœur et le frère se sont toujours aimés d’un amour tendre et passionné et, comme la sœur vient d’épouser un autre homme et a lâché son frère, il est normal que celui-ci dresse le parallèle avec une putain. Scavolini, tout au long du film, glisse des indices sans donner au spectateur une franche réponse à ses questionnements. Ainsi, justement, sur l’inceste qui lie Erika Blanc et Peter Lee Lawrence. Les premiers gestes, les premiers baisers échangés ne sont pas clairement incestueux mais suffisants pour faire germer la petite graine du doute. Tout est ainsi suggéré et, dans ses méandres, le scénario se perd parfois, jusqu’à atteindre l’impossible. Comme cette fameuse bande magnétique que découvre l’ornithologue et qui rend compte d’événements supposés s’être passés après son enregistrement.
Un mot sur Sauro Scavolini, inconnu sous nos latitudes et dont le nom du frère, Romano Scavolini, dont Le Chat qui fume a édité Exorcisme tragique, est mieux inscrit dans nos souvenirs. Sauro signe ici sa seule réalisation pour le cinéma (on le crédite de quatre autres pour la télé) et a surtout été scénariste : de westerns spaghetti, de polars musclés, de thrillers érotiques (les fameux gialli), même d’un Chabrol (La femme infidèle). Et le scénariste aussi, c’est une évidence, de cet Amour et mort dans le jardin des dieux, dont on ne peut que célébrer le titre. Dans les années soixante-dix, force est de reconnaître que les Italiens avaient un vrai talent pour leurs titres : à rallonge, certes, mais poétiques, étonnants, alléchants. Autant de qualificatifs qui conviennent parfaitement à cet Amour et mort dans le jardin des dieux.
Jean-Charles Lemeunier
« Amour et mort dans le jardin des dieux » de Sauro Scavolini : coffret Blu-ray/DVD sorti chez Le Chat qui fume le 22 mars 2019.